Yukiya Amano : « Je suis contre la politisation de l'AIEA »

Dimanche 25 juillet 2010 débutent des manoeuvres communes des marines américaine et sud-coréenne en mer du Japon. Des exercices qui ont fait réagir la Corée du Nord ;  Pyongyang a même menacé de recourir à une « puissante dissuasion nucléaire ». Avec la Corée du Nord, l'Iran est un autre pays dans le viseur des Etats-Unis. Washington accuse régulièrement Téhéran de ne pas collaborer assez avec l'Agence internationale de l'énergie atomique qui est dirigée depuis peu par le Japonais Yukiya Amano. Un homme résolument hostile à l'arme nucléaire. Dans un entretien accordé en exclusivité au correspondant de RFI à Vienne, Blaise Gauquelin, Yukiya Amano détaille la vision qu'il a de sa mission à la tête de l'AIEA.

RFI : Vous êtes le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Vous êtes japonais et vous succédez, à ce poste, à l’Egyptien Mohamed al-Baradei. Alors, avant de vous donner les clés de la maison, Monsieur al-Baradei a évoqué un dossier au point mort. L’est-il toujours ?

Yukiya Amano : Malheureusement, la coopération de la part de l’Iran n’est pas suffisante pour l’agence, quand par exemple, il déclare que toutes les activités nucléaires de l’Iran sont dans un but pacifique.

RFI : A plusieurs reprises, l’Iran a évoqué un changement de ton, depuis votre arrivée. Vos rapports seraient, selon Téhéran, beaucoup plus critiques, à l’égard du trouble qui entoure les activités nucléaires sur le sol iranien. Confirmez-vous que vous souhaitez être, peut-être, moins conciliant avec l’Iran que votre prédécesseur ?

Yukiya Amano : Il n’y a pas de question de conciliant, plus conciliant ou moins conciliant. Je suis contre la politisation de l’agence. L’agence est une organisation qui s’adresse à des activités techniques qui comportent bien sûr des aspects politiques. Mais je n’ai aucune intention de politiser l’agence. Je suis au courant… Je suis très conscient de ce que l’agence fait ou que ce que je dis porte des implications ou des influences politiques. Il faut bien réfléchir. Mais dans le fond c’est une organisation qui s’occupe de la technologie nucléaire.

RFI : Alors, dans le cadre des négociations entre les puissances nucléaires et l’Iran sur un échange d’uranium, est-ce que vous êtes favorable à un élargissement du groupe à la Turquie et au Brésil ?

Yukiya Amano : Cette question n’est pas sur la table. On ne sait jamais ce qui va se passer dans l’avenir. Mais pour le moment nous travaillons avec l’Iran, bien sûr, la Russie, la France et les Etats-Unis.

RFI : Il y a un regain de tension au sein de votre agence, en ce moment, sur la question d’Israël, dont on sait qu’il est une puissance nucléaire mais qui n’a pas ratifié le traité de non prolifération. Alors, comment convaincre Israël, Monsieur Amano, de ratifier le TNP ?

Yukiya Amano : Il y a eu une résolution adoptée à la conférence générale, et cette résolution me demande d’encourager Israël à devenir un membre de TNP. Je suis en train d’écouter le point de vue des pays membres et moi aussi, je vais avoir un dialogue direct avec l’autorité israélienne.

RFI : C'est-à-dire que vous allez vous rendre en Israël ?

Yukiya Amano : C’est possible.

RFI : Le Japon est le seul pays au monde qui, à ce jour, reste meurtri par l’utilisation militaire de la bombe atomique dans le cadre d’un conflit. C’était à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors, est-ce qu’un Japonais, Monsieur Amano, dirige avec encore plus de conviction l’organisme chargé de s’assurer que plus jamais la bombe atomique ne sera utilisée à des fins militaires ?

Yukiya Amano : Je ne reçois pas d’instruction du gouvernement japonais. Je suis indépendant et je suis neutre. Mais ça ne veut pas dire que j’ai cessé d’être japonais. Je crois profondément que les armes nucléaires doivent être éliminées. Je suis contre l’arme nucléaire. Ce sentiment contre les armes nucléaires est implanté dans mon corps et dans mon cœur. Cette année, je vais participer à la cérémonie à Hiroshima et Nagasaki et je crois que c’est la première fois que le directeur général de l’AIEA y participera.

RFIL’accès au nucléaire civil, on le sait, est un droit. Or, nombreux sont les pays qui estiment que ce droit n’est pas respecté ou qui l’est trop lentement. Comment accélérer l’accès au nucléaire civil, sans remettre en cause les impératifs de sécurité et de garantie ?

Yukiya Amano : C’est dommage que la plupart des pays qui utilisent la technologie nucléaire pour la production de l’électricité soient plutôt des pays développés. A mon avis, les pays en voie de développement doivent avoir l’accès égal à l’électro-nucléaire. La question est  : comment peut-on le faire ? L’agence a pour mission d'aider les pays en voie de développement à renforcer ou établir une infrastructure nucléaire.

RFI : L’agence coopère avec l’Egypte, dans le cadre de son programme d’énergie nucléaire. Au Vietnam une première centrale doit être opérationnelle en 2020. Le nucléaire civil a donc le vent en poupe mais il fait toutefois toujours peur aux opinions publiques. Comment pouvez-vous les rassurer ? Avez-vous les moyens réellement de contrôler que des pays en développement tels que l’Egypte ou le Vietnam sont des pays sûrs en matière de nucléaire ?

Yukiya Amano : Il y a eu la tragédie de Tchernobyl en 1986... Mais depuis ce temps-là le niveau de la sûreté s’est beaucoup amélioré. Et maintenant, il n’y a pas eu d'accidents graves depuis plus de vingt ans.

RFI : Après le départ de Monsieur al-Baradei un diplomate occidental en poste auprès de l’AIEA m’a confié que les Etats-Unis et l’Europe souhaitaient l’arrivée à son poste d’un homme qui peut-être ne décrocherait pas le prix Nobel de la paix pour sa maison, mais d’un bon gestionnaire, d’un homme rigoureux et neutre. L’AIEA est-elle redevenue avec vous une agence technique, alors qu’elle a pu être, sous la direction de Monsieur al-Baradei, considérée comme un acteur politique à part entière qui gênait d’ailleurs beaucoup de délégations ?

Yukiya Amano : J’ai beaucoup de respect pour Mohamed al-Baradei. Je voudrais faire  mon maximum pour gérer cette organisation de la façon la plus efficace et effective. Je n’ai pas à comparer ma manière de gérer l’organisation avec celle de Monsieur Mohamed al-Baradei.

Entretien réalisé par Blaise Gauquelin, RFI.

 

 

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