Rfi : Moncef Djaziri, toujours pas de rencontre entre Fayez el-Sarraj et Khalifa Haftar. Pourquoi ça bloque ?
Moncef Djaziri : Ça bloque parce que les divergences sont si profondes que malgré l’influence de l’Egypte, il n’y a pas accord.
Pourtant les deux hommes s’étaient déjà rencontrés une première fois, je crois.
Ils se sont rencontrés une première fois, en effet, il y a une année et demie, les divergences étaient déjà très profondes.
La première rencontre, c’était avant ou après l’accord de Skhirat au Maroc ?
C’était après l’accord, juste au moment de l’installation de l’actuel président du Conseil présidentiel – donc Sarraj – à Tripoli.
Et pourquoi cet accord n’a-t-il jamais marché ?
Il n’a jamais marché, si vous voulez, pour trois raisons essentielles. Je pense que les signataires de cet accord du côté libyen ne représentaient pas quelque chose au niveau de la réalité de la société et donc ont eu peu d’influence.
La deuxième raison c’est que les mécanismes institutionnels que l’accord met en place sont trop compliqués et contradictoires. Par exemple, l’accord donne le pouvoir au Parlement de Tobrouk, mais en même temps il crée un exécutif – qui est donc le Conseil présidentiel – qui est à la fois pléthorique et collégial et donc cela crée des conflits entre le Parlement et le Conseil présidentiel.
Et puis le dernier élément c’est la controverse autour du commandement en chef de l’armée. Est-ce que ce commandement doit être placé sous l’autorité du Parlement de Tobrouk ou bien sous l’autorité du Conseil présidentiel ? L’accord prévoit qu’il soit placé sous l’autorité du Conseil présidentiel. C’est une des raisons pour lesquelles d’ailleurs le Parlement de Tobrouk refuse de voter cet accord.
Et quelle est à vos yeux la réforme institutionnelle qui est prioritaire ?
La première c’est qu’il faut revoir la composition du Conseil présidentiel et redéfinir ses compétences. Il est pléthorique actuellement et les prises de décision ne sont pratiquement pas possibles dans ce cas de figure. Deux : il faut impérativement réduire les compétences du Haut conseil d’Etat. C’est-à-dire cette deuxième chambre qui a été créée. Et troisièmement, il faut trancher la question de savoir où placer l’autorité du haut commandement de l’armée. Tout ça si on reste dans le cadre de l’accord actuel. Maintenant, on peut aussi considérer que compte tenu de la gravité de la situation en Libye, on peut parfaitement considérer qu’il faut un pouvoir politique fort qui assure la stabilité et la sécurité.
Est-ce que la prétention du maréchal Haftar à se prendre pour le de Gaulle ou le Nasser de la Libye, ça ne fait pas peur aux gens de l’ouest ?
Je pense, effectivement, que ça fait peur. En tout cas pour une partie des gens de Tripoli, par exemple, et surtout pour la population de Misrata. En tout cas une grande partie d’entre eux. Les gens de Misrata se sentent dépositaires actuellement des « valeurs » de la Révolution de février 2011. Ils considèrent qu’Haftar est justement une menace contre cela et de toute évidence il aura de la peine à obtenir le consensus général.
Qu’est-ce que vous pensez du véto de Donald Trump sur le nom du Palestinien Salam Fayyad pour succéder à l’Allemand Martin Köhler à la tête de la médiation de l’ONU ?
Le véto américain a sa logique. Je dirais même que c’est une sorte de provocation du secrétaire général. Parce que tout en considérant que les compétences de Monsieur Fayyad ne sont pas en cause, il est bien clair qu’en tant que Palestinien, ça ne pouvait pas ne pas poser des problèmes pour les Etats-Unis et surtout pour l’actuel président américain Donald Trump. Mais plus largement, je pense qu’actuellement c’est le flou au sein du système des Nations unies. C’est-à-dire qu’on n’a pas une vision vraiment très réaliste et très claire de ce qui se passe en Libye.
Depuis deux mois, Donald Trump veut prendre une initiative sur la Libye, d’où ce fameux rendez-vous manqué entre Donald Trump et Denis Sassou Nguesso, le Monsieur Libye de l’Union africaine. C’était au mois de décembre dernier. Qu’est-ce que vous en pensez ?
On est en train d’assister au fond à la structuration de ce que j’appellerais la doctrine Trump à l’égard des pays arabes en transition. Cette nouvelle doctrine repose sur les observations suivantes : les révoltes arabes observées en Libye, en Tunisie, en Syrie ou en Egypte, du point de vue de Trump, n’ont pas permis d’instaurer la démocratie et n’ont pas rendu possible – dit-il, mais avec les experts – des améliorations économiques et sociales.
Par ailleurs, ces révoltes ont constitué – dit-il – pour les islamistes, une opportunité politique pour, sinon prendre le pouvoir, en tout cas exercer une influence déterminante sur le processus de décision. Il faut donc, selon Trump, changer de perspective pour aller vers une autre approche qui privilégie les gouvernements stables qui assurent la sécurité et le bien-être au détriment des démocraties conflictuelles – dit-il – qui sont génératrices d’instabilité et qui menacent la sécurité des Etats-Unis.
Donc Haftar pourrait bénéficier du soutien à la fois de Trump et de Poutine ?
De mon point de vue, oui. La Russie joue un jeu très fin dans cette crise. La diplomatie russe est très habile parce qu’elle soutient Haftar, mais sans le soutenir d’une manière inconditionnelle – elle n’a toujours pas reconnu le gouvernement de Tripoli – donc il y a, en effet, une position russe qui va dans le sens du soutien d’Haftar et qui converge avec la nouvelle doctrine de Trump à l’égard du Moyen-Orient et du Maghreb en particulier.