RFI : Est-ce que les évènements de ce jeudi matin vous ont étonné ?
Antoine Bondaz : Ces échanges de tirs ne sont pas étonnants parce qu’ils s’inscrivent en fait dans la violation de l’armistice qui est extrêmement régulière depuis 1953. De 1953 à 2011, on a eu 221 violations, donc on en a une nouvelle aujourd’hui. Deuxièmement, l’évènement s’inscrit dans une hausse des tensions annuelles dans la péninsule coréenne à la fin du mois d’août, puisqu’on a en fait des exercices militaires conjoints entre les Etats-Unis et la Corée du Sud simulant une attaque nord-coréenne et un effondrement du régime nord-coréen.
Ce que vous voulez dire Antoine Bondaz, c’est que ce qu’a fait Pyongyang aujourd'hui, c’est une manière pour le régime nord-coréen de bomber le torse pour montrer que non, il ne va pas du tout s’écrouler?
Exactement. Ces exercices militaires sont condamnés et critiqués très sévèrement par la Corée du Nord chaque année. L’attaque, ou en tout cas la tentative de destruction des haut-parleurs sud-coréens, s’inscrit dans une autre hausse des tensions depuis le début du mois, dans ce cadre précis, suite à l’explosion d’une mine anti-personnelle au niveau de la zone démilitarisée, critiquée par la Corée du Sud dont elle rend la Corée du Nord responsable. Et donc la Corée du Sud a repris l’émission de ses haut-parleurs de propagande contre la Corée du Nord. Donc la Corée du Nord a demandé l’interruption de ces haut-parleurs, ce que la Corée du Sud n’a pas fait, donc la Corée du Nord aujourd’hui les a attaqués.
C’est évidemment très symbolique pour Pyongyang de s’en être pris à ces haut-parleurs. Pourquoi ces haut-parleurs diffusent-ils de la propagande du Sud vers le Nord ? Que dit cette propagande ? Est-ce qu’elle est entendue ?
Cette propagande est très peu entendue. Tout d’abord puisqu’il y a très peu de Nord-Coréens civils qui vivent à la frontière. Et ensuite les rares Nord-Coréens vivant à la frontière sont coupés du reste du pays puisqu’ils ne peuvent pas se déplacer. Les messages envoyés par le Sud ne peuvent pas remonter à Pyongyang, ne peuvent pas remonter dans les autres villes. Donc, c’est avant tout symbolique. C’est une volonté pour la Corée du Sud, pour son opinion publique, de signaler et d’insister sur les représailles possibles vis-à-vis de la Corée du Nord.
Finalement, le régime sud-coréen a voulu réagir après cette explosion de mine, où deux soldats ont été très grièvement blessés, mais qu’elle n’avait finalement pas beaucoup d’options.
Exactement, la Corée du Sud a très peu d’options. L’option économique est aujourd’hui quasiment inexistante puisque les sanctions contre la Corée du Nord sont extrêmement importantes. La seule sanction possible serait la fermeture du complexe industriel intercoréen de Kaesong, mais les sociétés sud-coréennes seraient les premières à en souffrir. Et les représailles militaires sont très difficiles à mettre en œuvre puisque l’objectif pour la Corée du Sud est bien évidemment d’éviter toute escalade des tensions qui pourrait mener sur des affrontements militaires et pourquoi pas une nouvelle guerre.
Donc, le régime nord-coréen en visant symboliquement des haut-parleurs, le régime sud-coréen en lançant un petit signal avec ses haut-parleurs, finalement, ont envie d’une escalade ?
Non, personne n’a envie d’une escalade dans la péninsule coréenne, que ce soit les Corées ou les voisins, que ce soit la Chine ou les Etats-Unis. On est en présence de provocations militaires extrêmement localisées, extrêmement limitées, de très faible intensité.
Vous nous parliez tout à l’heure de cette réponse nécessaire de Séoul, une sorte de message à son opinion, quel est justement l’état de l’opinion sud-coréenne par rapport au dossier nord-coréen ?
Depuis l’élection de la présidente Park Geun-hye en décembre 2012, la Corée du Sud adopte d’une certaine façon une via média entre la politique des libéraux et la politique des conservateurs de ces dix dernières années. La volonté du peuple sud-coréen est d’accroitre la coopération et le dialogue avec la Corée du Nord tout en restant extrêmement ferme contre toute provocation.
Ce qui est intéressant, c’est que vous soulignez également une sorte de fossé générationnel dans l’opinion sud-coréenne.
Exactement, la jeunesse sud-coréenne est beaucoup plus critique vis-à-vis de la Corée du Nord. Ils n’ont connu que la division de la péninsule coréenne et que les provocations nord-coréennes. Que ce soit le programme nucléaire militaire de la Corée du Nord, mais également les provocations létales en 2010 comme le naufrage de la corvette Cheonan ou le bombardement de l’île de Yeonpyeong. A l’inverse, les personnes un peu plus âgées ont connu la guerre de Corée, ont une partie de leur famille proche, qu’ils ont connu, avec qui ils ont passé leur enfance qui sont encore en Corée du Nord. Eux, sont parfois un peu plus tolérants vis-à-vis de la Corée du Nord.
S’il est évidemment envisageable de sonder l’opinion de la Corée du Sud c’est beaucoup plus compliqué de savoir ce que pense et où en est l’opinion nord-coréenne.
C’est tout simplement impossible d’avoir des opinions et des enquêtes d’opinion de la population nord-coréenne. Ce qu’on sait, c’est que la propagande et l’endoctrinement dans le pays sont extrêmement forts et il est fort à parier que la population nord-coréenne soutient fortement un régime qui les manipule depuis plusieurs décennies.