José Bové: «Restructurer la dette grecque ou l’annuler en partie»

José Bové, député européen issu du parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV), membre de la commission Agriculture et développement rural au Parlement de Strasbourg, est l'invité du matin sur RFI. Il réagit en duplex sur la crise grecque en Europe et le vote du mandat de négociation du traité transatlantique TTIP.

RFI : Le Premier ministre grec est intervenu hier, mercredi, au Parlement européen. Est-ce qu’il vous a convaincu lors de son discours ?

José Bové : Je pense qu’il a affirmé un certain nombre de choses très importantes. La première, c’est de dire que la Grèce ne veut pas quitter l’Europe, la Grèce ne veut pas quitter l’euro. Ça, c’est le premier élément. Deuxième chose importante qu’il a dite : les règles collectives doivent être respectées.

Si elles sont justes, évidemment ce sera encore plus facile. Troisième élément : la Grèce a annoncé à travers la bouche de M. Tsipras qu’il avait mis sur la table, déjà, un certain nombre de propositions qui feront partie d’un document qui fait 43 pages et qui va être étudié aujourd’hui. Donc, on a aujourd’hui des éléments pour sortir de la crise.

Je me suis aussi entretenu hier avec M. Juncker hier, et le président de la Commission, très clairement, lui, aujourd’hui, agit pour faire en sorte qu’une solution soit trouvée, à la fois du côté des réformes de la Grèce et en même temps pour que, clairement, la question de la dette soit enfin sur la table. Parce que la question de la dette est une question centrale.

Malheureusement, pendant plusieurs semaines, je dirais plusieurs mois, le Conseil européen et notamment l’Allemagne ne voulaient pas entendre parler de la question de la dette. Aujourd’hui, même le Fonds monétaire international reconnaît que cette dette est insupportable. Elle ne peut pas continuer. Le pays est en faillite. Donc, il faut soit restructurer la dette, soit en annuler une grande partie.

Mais l’Allemagne, aujourd’hui, est toujours inflexible sur cette question. Le ministre allemand des Finances l’a dit encore avant-hier. Tout rééchelonnement de la dette, toute annulation de la dette serait contraire aux règlements européens, a-t-il dit. Je crois qu’effectivement, il a réaffirmé ce que je dirais être presque leur seul credo : la règle, la règle… et la dette doit être remboursée.

Il a été rappelé quand même que cette question de la dette n’était pas tenable. Et on l’a vu : même la dette allemande, en 1953, a été annulée. Parce qu’effectivement, on ne reconstruit pas un pays avec une dette où, chaque fois qu’on fait un nouvel emprunt, il sert à payer les intérêts de la dette précédente.

On sait ce que ça a amené comme dégâts en Afrique et en Amérique du Sud notamment, où cette question de la dette a effectivement détruit des économies. Et je dirais que détruire les économies détruit surtout la vie des gens ! Aujourd’hui en Grèce, ce sont plus de 40 % de la population qui est en dessous du seuil de pauvreté, 50 % des jeunes qui sont au chômage, un système de santé détruit… Bref, on ne peut pas continuer comme ça !

Et je dirais que c’est une insulte aujourd’hui à l’intelligence, de vouloir toujours continuer à demander à la Grèce le remboursement d’une dette dont le gouvernement Tsipras, d’ailleurs, n’est pas responsable. Parce que ce sont les quarante dernières années de gestion de la Grèce qui l’ont amenée dans la situation où elle est, notamment au niveau interne. Le fait qu’il y ait du clientélisme, que les armateurs ne paient toujours pas d’impôts conséquents, que la taxation du foncier de l’Eglise orthodoxe n’existe pas…

Vous pensez qu’un geste fort sur la dette pourrait permettre au Premier ministre grec de faire accepter le plan de réformes qu’il a refusé, et qu’il a demandé au peuple de refuser lors du référendum de dimanche dernier ?

Je crois que le référendum de dimanche dernier ne consistait pas à refuser des réformes, mais un plan qui ne prend pas en considération l’annulation ou au moins une réduction conséquente de la dette.

Le reste est acceptable, d’après vous ? Tout ce qui est demandé aux Grecs, notamment sur les retraites, sur les impôts, sur la TVA, etc., tout cela est-il acceptable ?

Je crois qu’une grande partie est acceptable. Sur la question de la TVA, les choses sont à discuter. Parce qu’avoir une augmentation de 2 points sur la TVA telle que c’est demandé de manière linéaire, ça n’a pas forcément beaucoup de sens. Ce qui a été dit à la fois par M. Juncker, le président de la Commission, et par M. Tsipras hier, c’est que ces réformes sont indispensables, mais elles doivent se faire dans le respect des revenus de chacun. Je crois que c’est quelque chose d’important.

C'est-à-dire qu’on ne va pas demander à quelqu’un qui touche 400 euros par mois de payer autant d’impôts que quelqu’un qui a un revenu multiplié par 100 ou par 1 000. Donc, c’est évident que les impôts, par exemple, doivent être proportionnels. Et ce n’est pas simplement l’imposition sur le revenu, mais c’est aussi l’imposition sur le capital ou sur les avoirs. Et c’est pour ça qu’il y a tout un plan qui est en train d’être construit par les Grecs, avec la justice grecque et la justice suisse, par exemple, pour le rapatriement des avoirs qui ont été cachés par un certain nombre de personnes.

On vous a vu hier parler à l’oreille d’Alexis Tsipras pendant la séance au Parlement. Peut-on savoir ce que vous lui avez dit ?

Je lui ai dit que son discours avait été dans la bonne direction et que suite à la discussion que j’avais eue avec le président de la Commission, M. Juncker, que c’était pour moi la clé du rapprochement entre ces deux parties, la Commission et la Grèce. Si le président de la Commission et le Premier ministre grec étaient capables de s’entendre, ils pourraient représenter un projet commun.

C’est pour ça que j’ai un optimisme mesuré ce matin. Je pense qu’ils se sont rencontrés, qu’ils ont discuté, et je pense qu’il y a une convergence. Ce qui me paraît important, c’est qu’un certain nombre de pays, en commençant par la France, ont joué et vont dans cette direction-là. Alors, est-ce que M. Hollande et Mme Merkel vont arriver à trouver un terrain d’entente ? Est-ce que Mme Merkel va être capable d’aller dans la même direction ? J’espère ! En tout cas, ce qui est important, c’est qu’on puisse construire sans qu’il y ait de perdant.

Je n’ai pas envie de demander à Mme Merkel de renoncer à tout ce qu’elle a dit. Ça n’a pas de sens et ce n’est pas comme ça qu’on discute. Pas plus qu’à M. Tsipras. Donc, on doit trouver un terrain d’entente sans que personne ne se sente humilié. Je crois que les Grecs ont montré, en plus par le référendum de dimanche, qu’ils avaient une idée claire de là où ils voulaient aller. Je pense que maintenant, il reste à construire. On a quatre jours pour le faire.

En tout cas, ce qui va rester de cette histoire – parce que je pense qu’il y aura une solution positive qui va sortir –, c’est que la demande de respect des règles n’a de sens que si c’est dans le cadre de la justice. Mais en même temps, ça veut dire que l’Europe doit renforcer sa solidarité, donc son travail en commun. On ne peut pas simplement avoir une monnaie unique, si l'on n’a même pas en même temps une gestion politique de l’Europe.

Le Parlement européen a apporté hier son soutien au texte de traité transatlantique. La question des tribunaux arbitraux qui divisait la gauche et la droite a finalement fait l’objet hier d’un vote consensuel. Est-ce qu’on peut dire que les sociaux-démocrates se sont reniés ?

Très clairement, on peut dire que les sociaux-démocrates européens se sont couchés devant les conservateurs du Parlement. La pression des lobbys a été invraisemblable. Aujourd’hui, si on lit ce qui a été voté, les sociaux-démocrates acceptent que ce ne soit plus la justice des Etats ou la justice européenne qui tranche les conflits entre des entreprises et les règles européennes. Ce seront des avocats d’affaires qui négocieront à l’amiable entre des pays et des entreprises. C’est absolument invraisemblable !

D’ailleurs, je ne pense pas que cela passera à terme, puisque la mobilisation continue à être très forte. Et je suis certain qu’un certain nombre de parlements nationaux refuseront de signer. Donc, pour moi, la mobilisation continue et l’accord de libre-échange, je pense, sera envoyé aux oubliettes dans les prochains mois.

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