France: les pour et les contre la loi El Khomri

En France, quelque 170 000 personnes selon les autorités ont manifesté dans plusieurs villes du pays contre le projet de loi El Khomri. Le texte qui doit réformer le marché du travail divise les syndicats, les politiques mais aussi, fait plus rare, les économistes. Par tribunes interposées ils se livrent à affrontement. D’un côté le clan des « pour » et de l’autre, les « contre ».

Face à la montée de la contestation, le gouvernement a concédé à quelques aménagements que le clan des « pour » regrette. Pour ces derniers le texte a été vidé de sa substance, alors que celui des « contre » maintient sa position et souhaite son retrait, malgré sa formule allégée. Au final, plus personne n’est satisfait. Les fervents sont devenus des « déçus presque contre » et les contre sont « archi contre ».

Parmi les soutiens figurent des noms prestigieux comme notre dernier Prix Nobel d’économie Jean Tirole, ou Philippe Aghion, professeur au Collège de France. Du côté des « contre », la liste est tout aussi prestigieuse, avec Thomas Piketty, spécialiste des inégalités, ou encore Daniel Cohen professeur à l’Ecole normale supérieure (ENS). Qu'est-ce qui les sépare ? Il y a ceux qui pensent que la loi El-Khomri ne réduira pas le chômage et les autres qui trouvent qu'elle ne va pas assez loin.

Agnes Verdier Molinié, directrice de l'Ifrap, cercle de réflexion, milite pour une plus grande flexibilisation du marché du travail : facilité le licenciement, simplifier les accords d'entreprise, et revoir le temps de travail. Cette réforme serait une avancée pour les moins qualifiés, 80% d'entre ne sont pas bacheliers : «  Le marché du travail doit être souple, pour permettre à ceux qui ne sont pas dans le marché du travail, d’y entrer. Et c’est cela qu’explique Jean Tirole, et c’est cela que ne veulent pas comprendre tous ceux qui défendent les personnes en CDI. Si on veut penser à la jeunesse, 25% de jeunes sont au chômage aujourd’hui, lui permettre de rentrer sur le marché du travail, c’est permettre aussi d’assouplir les conditions du licenciement, qui permet d’assouplir les conditions de l’embauche. »

Un argument que n'entend pas Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le problème du chômage ne réside pas dans la rigidité du marché du travail : « Si les entreprises n’embauchent pas c’est uniquement pour des raisons de carnets de commandes qui sont vides. Elles le disent clairement dans les enquêtes de l’Insee. Et donc flexibiliser le marché du travail et ne faire que cela aurait pour conséquence une augmentation du chômage. Je pourrais être pour la flexibilité du marché du travail, seulement si celle-ci s’accompagnait de mesures qui sécurisent les citoyens. »

Autre point de divergence : le plafonnement des indemnités de licenciement. Agnès Verdier Molinié déplore que le gouvernement ait reculé ce sujet. Elle affirme que les entreprises n'embauchent pas de crainte de se heurter aux prud'hommes : « A partir du moment où l’entreprise se retrouve dans une situation difficile, elle doit pouvoir réorganiser son activité afin de repartir du bon pied. Le licenciement économique allait de soi. Là on rentre vraiment dans un carcan qui est beaucoup plus rigide que ce que nous avions demandé. Avec un pouvoir du juge qui reste finalement important. Ça ne nous satisfait pas complètement ».

Sans surprise Eric Heyer reste attaché à la présence d'un juge : « Dire combien ça va vous coûter si vous faites un licenciement abusif, car il s’agit de licenciement abusif, donc mettre une grille, c’est intéressant mais il faut que ce soit fait à titre indicatif, et que le juge puisse décider si il faut aller au-delà ou pas. De mon point de vue, il ne fallait pas plafonner. C’est comme pour le code de la route, ceux qui ont les moyens vont souvent griller le feu ».

Le seul point où ils sont d’accord est celui de la nécessité de mener une réforme du marché du travail. Mais les moyens pour y parvenir divergent. Agnès Verdier Molinié veut une réforme en profondeur et dénonce des résistances : « On a du mal à réformer parce que, il faut bien le reconnaître, on a des syndicats très anti-flexibilisation, et contre la réforme du Code du travail. Ils n’ont aucune envie d’assouplir les conditions. La loi El Khomri, c’est une tentative, mais une tentative qui est plus ou moins prise en otage par les syndicats ».

Eric Heyer enjoint les politiques à ne pas aller trop vite. Selon lui ne pas faire une réforme serait une moins mauvaise chose que de faire une mauvaise réforme : « Aujourd’hui, il faut faire une réforme moins ambitieuse en terme de champs, mais en tout cas aller vers une réforme qui est plus en adéquation avec les besoins de l’économie française, donc il faut en faire une version améliorée, quitte à ce qu’elle soit plus légère ».

Le débat se poursuivra mardi 3 mai devant les parlementaires puis ensuite, au Sénat.

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