Muhammad Yunus, le père du microcrédit à Paris

Malgré les ennuis politico-judiciaires qu’il rencontre dans son pays, Muhammad Yunus, le pionnier du microcrédit qui a reçu en 2006 le prix Nobel de la paix, est, mercredi 27 avril 2011 à Paris, pour le lancement de son livre Pour une économie plus humaine. Il a été reçu par la ministre française de l’Economie Christine Lagarde.

Muhammad Yunus est innocent. Une enquête du Bangladesh a en tout cas blanchi le banquier des pauvres, soupçonné d’avoir détourné de l’argent donné par la Norvège à la Grameen Bank, l’organisme de microcrédit qu’il avait fondé en 1977 et dont il était le directeur général depuis 2000. En décembre dernier, le Premier ministre du Bangladesh Sheikh Hasina accuse le pionnier du microcrédit de s’enrichir sur le dos des pauvres en les enfermant dans l’endettement. Son réquisitoire est motivé par un documentaire d’une chaine de télévision norvégienne qui met en cause la Grameen Bank. Ce reportage accuse notamment le pionnier du microcrédit d’avoir détourné 96 millions de dollars d’aides consenties par l'agence gouvernementale de développement d'Oslo à la Grameen Bank.

L'Etat bangladais prend aussitôt des mesures. Mais les faits restent insuffisants pour le chasser de son poste. Trois mois plus tard, Muhammad Yunus est limogé pour d'obscurs motifs procéduriers. L’Etat, actionnaire minoritaire de la Grameen Bank, trouve dans les statuts de l'institution une clause de limite d’âge qui permet la mise à la retraite d'office de Mohammad Yunus. A 70 ans, le Prix Nobel de la paix a dépassé de dix ans l'âge réglementaire de la retraite, il est donc écarté de la direction générale de la banque.

Une campagne de diffamation

L’âge n'est qu’un prétexte, Mohammad Yunus est devenu l’homme à abattre pour le Premier ministre du Bangladesh qui lui reproche toujours d'avoir voulu se lancer en politique en 2007. Mais Muhammad Yunus ne lâche pas l’affaire et porte l’affaire devant la justice. Le 9 mars 2011, il fait appel auprès de la Cour suprême du Bangladesh. Le 5 avril, celle-ci rejette la requête et confirme son limogeage.

Ces attaques contre Yunus vont bien au-delà de sa personne. Avec ses 8,3 millions d'emprunteurs, dont 95% de femmes et ses 95 millions d’euros de prêts, la Grameen Bank est une institution gigantesque. Derrière la mise en cause de l’établissement, c’est toute la microfinance qui est dans le collimateur. Selon ses détracteurs, le microcrédit peut conduire les plus démunis au surendettement. Dans la région de l’Andrah Pradesh, au sud de l’Inde, plusieurs dizaines de personnes se sont suicidées ces derniers mois, accablées par des dettes qu’elles ne pouvaient pas rembourser.

La microfinance en crise

Longtemps considéré comme la panacée pour lutter contre la pauvreté, ce système qui consiste à octroyer des petits prêts à ceux qui n’ont pas accès au système bancaire, est en effet en train de tourner au désastre depuis que des entreprises commerciales très agressives se sont lancées sur ce marché. Taux d’intérêts très élevés imposés aux emprunteurs et méthodes coercitives pour obtenir les remboursements… toutes ces dérives serait à l’origine des suicides en Inde.

La Banque mondiale recense 10 000 institutions installées dans 85 pays, dont le Bangladesh, la Bolivie, le Maroc ou bien encore le Pakistan. A l’heure actuelle, 160 millions de personnes vivent du développement de leurs activités financées par le microcrédit. Le microcrédit semble victime de son succès. C’est pourquoi bon nombre de spécialistes préconisent de revenir à un modèle plus humanitaire et de mettre en place, comme le propose Muhammad Yunus, une autorité de régulation du microcrédit dans chaque pays.

Pour en savoir plus :

Building a Social Business (« Pour une économie plus humaine ») de Muhammad Yunus aux Editions Lattès

La critique du livre (en anglais) sur le site de Business Week

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