Vacances riment-elles avec lectures pour vous ?
Oui, vacances riment avec bouquins. Pendant l’année aussi, je lis beaucoup, mais essentiellement des articles, des analyses, des reportages, qui m'aident à préparer mes émissions. Et après, pendant le peu de temps libre que j’ai, je n’ai ni la motivation ni le courage intellectuel de me plonger dans les livres. Je profite de ces moments-là plutôt pour m’occuper de mes proches. Pour être franc avec vous, la lecture n’est pas ma passion numéro un. Et pourtant, pendant les vacances, je pars avec beaucoup de livres, surtout des livres que je n’ai pas eu le temps de lire au cours de l’année.
Est-ce que les vacances sont propices à un certain type de lectures ?
J’aime lire aussi bien des romans que des essais. Par exemple, pendant l’été 2013, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire Congo de David van Reybrook (Actes Sud). C’est un ouvrage passionnant, qui revient sur toute l’histoire du Congo dès ses origines. Il fait plus de 800 pages.
Pourquoi ce livre vous a-t-il intéressé ?
L’Afrique m’intéresse. Je recherche des ouvrages qui permettent d’aller plus loin dans la connaissance de ce continent dont la riche réalité est cachée par le poids de nos préjugés. Et quand je tombe sur un livre comme celui de David Reybrook, j’aime me donner le temps pour ne pas en bâcler la lecture.
Que veut dire bâcler une lecture ?
Bâcler une lecture, c’est lire en diagonale. Quand on reçoit un livre pour une émission le lendemain, on le lit forcément en diagonale, on n’a pas le temps de le lire en profondeur. Je n’aime pas faire ça. Certains journalistes font ça : ils se contentent de lire la première page, la centième page et la dernière page. Il n’y pas de mystère, si vous recevez trois invités par jour, vous n’aurez jamais le temps de lire trois livres par jour.
Que lirez-vous cet été ?
Comme tous les ans, j’emmènerai une dizaine de livres. Je ne sais pas encore lesquels. Il y aura certainement L’homme qui aimait les chiens de Leonardo Padura (Ed. Anne-Marie Métailié), un romancier cubain que mon libraire m’a conseillé. J’ai la chance d’avoir à côté de chez moi un libraire qui lit lui-même beaucoup et qui met des petites annotations sur les livres, partageant avec les futurs lecteurs ses impressions personnelles sur l’intrigue, sur le style de l’écriture. Ce sont ces commentaires qui m’ont incité à acheter le roman de Padura. Son intrigue tourne autour des trajectoires croisées, dont celle de Trotski et celle d’un jeune révolutionnaire engagé dans les troupes républicaines espagnoles. Je vous en dirai plus quand je l’aurai lu.
Qu’est-ce qu’il y a dans cette intrigue qui vous touche ?
Je crois que c’est le mélange de l’historique et de la fiction qui m’a paru astucieux. La vie de Trotsky en soi ne m’intéresse pas, mais l’utilisation que le romancier pourrait faire de ce matériau biographique et historique me semblait riche en possibilités. Pour les mêmes raisons, je voudrais lire Automobile club d’Egypte d’Alaa El-Aswany (Actes Sud). J’ai rencontré l’auteur lorsqu’il est venu à l’émission d’Arte à laquelle je participe. L’écouter parler de son pays avec tant de passion et d’empathie m’a donné envie de le lire. Ses livres racontent l’Egypte, mais à travers le prisme de la fiction. C’est ce qui me plaît dans un roman.
Comment est né votre goût pour la lecture ?
Ma mère lit énormément. Je crois que c’est elle qui m’a donné le goût pour la lecture. Je viens d’une famille modeste. Mes parents sont partis d’Espagne pour des raisons économiques à la fin des années 1960. Ils n’ont pas eu la chance de faire des études. Mais ma mère a toujours eu le goût pour la lecture, elle a toujours lu.
Elle lisait en espagnol ?
Non, elle lisait en français. Elle a une plus grande facilité avec la langue française que mon père. Ils lisaient aussi beaucoup les journaux.
C’est en regardant vos parents lire des journaux que vous avez eu envie de devenir journaliste ?
Peut-être, mais à 8 ans déjà, je savais que je voulais être journaliste. Je voulais faire de la radio. Mes parents écoutaient beaucoup la radio. Ils écoutaient surtout la radio espagnole qu’ils captaient sur les ondes courtes. Ecouter les gens parler en espagnol, écouter la musique espagnole, cela me rappelait mes vacances d’été en Espagne. On prenait l’avion pour y aller, et pourtant on pouvait capter l’Espagne en appuyant sur le bouton de la radio. Tout cela était intrigant et infiniment romantique pour le petit garçon timide que j’étais. Je crois que ma passion pour la radio est née de cela.
Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Le Club des Cinq, dans la Bibliothèque rose. J’adorais ça. Je dévorais les livres de cette série. Par ailleurs, mes parents m’avaient inscrit très jeune à la bibliothèque du quartier. Tous les mercredis après-midi, on y passait en famille rendre les livres déjà lus et les livres que je voulais emprunter.
Comment est né votre goût pour le roman ?
Difficile de situer le déclic à un moment précis. Mais je me souviens qu’un des premiers livres que j’ai aimé lire, c’était le Journal d’Anne Frank (Ed. Le livre de poche). Je me souviens, j’étais encore gamin : je l’ai lu en un week-end. L’Amant (Ed. de Minuit) de Duras est aussi un livre qui m’a profondément marqué. Mais j’étais déjà plus grand quand je l’ai lu. Je devais avoir 18 ou 19 ans. Je me souviens de l’avoir lu d’une seule traite. Il y avait quelque chose dans cette écriture, à la fois érotique et esthétique, qui m’a tenu en haleine toute la nuit.
Le dernier roman que vous avez aimé lire ?
Le Cas Eduard Einstein (Flammarion) de Laurent Seksik. Je l’ai découvert en écoutant France info. C’était le coup de cœur du chroniqueur. Eduard était le fils d’Albert, un fils complètement fou, à tel point que sa famille dut le placer dans un asile psychiatrique. Le garçon avait 20 ans. Tout le roman est construit autour des relations difficiles entre père et fils. Le garçon avait l’impression de vivre à l’ombre de son père, qui va finir par abandonner sa famille pour partir aux Etats-Unis, fuyant le nazisme. Ils ne se reverront plus. Sans accabler le père, Seksik a réussi à raconter une histoire émouvante où les drames familiaux se mêlent aux tragédies de l’Histoire, avec un grand « H ». Pour moi, c’était une double découverte, découverte de l’écriture de Laurent Seksik que je ne connaissais pas et celle de cet aspect de la vie d’Albert Einstein que j’ignorais totalement. Eduard Einstein est le dernier bouquin que j’ai lu et c’est vraiment une lecture que je conseille à mes amis.
Est-ce qu’il y a d’autres livres que vous aimeriez partager avec les lecteurs ?
Le titre qui me vient immédiatement en tête, c’est Ebène, aventures africaines, par le journaliste-grand reporter polonais Ryszard Kapucinski. C’est un livre de journaliste, qui parle de l’Afrique très différemment par rapport aux autres qui en parlent avec un mélange de misérabilisme et d’exotisme. Kapuscinski évoque l’Afrique des petites gens, des gens simples, leur quotidien et leurs drames. Il m’arrive souvent d’offrir ce livre à des amis car il nous révèle une Afrique autrement plus intéressante.
Croyez-vous qu’on puisse transmettre aux jeunes le goût pour la lecture ?
Je crois que oui, mais dans ce domaine comme dans d’autres domaines, ce sont les exemples qui sont plus parlants que les mots. Je reviens toujours à mon propre cas. Si j’aime lire, c’est parce que mes parents aimaient lire. En les voyant plongés dans leurs lectures, j’ai pris conscience de la valeur des livres.
Est-ce que vous vous lisez sur tablette ou toujours sur format papier ?
Moi, je n’ai pas encore fait le saut, mais ma compagne, oui. Cela fait deux, trois étés, qu’elle n’achète plus de livres en format papier. L’année dernière, je lui avais emprunté sa tablette pour lire un livre qu’elle avait acheté sous format numérique. J’ai été, je dois dire agréablement, voire même très agréablement, surpris par la tablette numérique. Je n’ai pas pour autant suivi l’exemple de ma compagne car je reste encore trop attaché au livre papier, à l’odeur des livres. Je sais que ce n’est pas très original de parler de tout cela, mais c’est la réalité. Ce qui me plaît aussi dans le format papier, c’est la possibilité de garder les vieux livres dans la bibliothèque, de les avoir à portée de main si je veux relire un livre. Il m’arrive parfois de m’attarder devant mes bibliothèques et j’ai l’impression de parcourir un album photo. Ces livres un peu jaunis me rappellent dans quelles circonstances je les ai lus, qui me les a offerts… Difficile de remonter le temps en cliquant sur une tablette ! Ce n’est pas la même chose.
Est-ce qu’il y a un livre ou des livres que vous ne lirez jamais ?
Je ne sais pas répondre à cette question, car je peux tout lire. Je ne m’interdis rien.
Pourquoi faut-il lire ?
Parce que la lecture nous enrichit intellectuellement. Mais nous lisons aussi pour nous retrouver, à travers la vie d’un autre, imaginée par une tierce personne que nous ne connaissons pas. Et pourtant l’alchimie fonctionne. La communion à travers la lecture est un processus mystérieux, paradoxal et magique.