Vacances riment-elles avec lectures pour vous ?
Cela a longtemps été l’inverse. Pendant douze ans, j’ai présenté Culture vive, l’émission culturelle quotidienne et je lisais trois, quatre parfois cinq livres par semaine. Pendant ces années-là, vacances rimaient avec abstinence. Je m’accordais un temps de vide avant de réattaquer à partir du 15 août les romans de la rentrée. Depuis deux ans, je n’ai pas encore trouvé de rythme. Je pars avec des livres de toutes sortes et je vois ce qui arrive, mais mon ambition n’est pas non plus de passer mes vacances à lire, mais plutôt d’être avec des gens, d’être dans des paysages .
Est-ce que les vacances sont propices à un certain type de lecture ? Elles sont plus propices à la lecture d'essais, de bios ou de romans ?
Je lis essentiellement des romans, très peu d’essais, presque jamais de biographies, parfois des revues. L’été, ayant du temps, je me lance toujours des défis. Lire Céline, ou Dostoïevski, relire Musil, de ces œuvres immenses qui demandent du rythme. Etudiant, j’ai lu tout Proust en un été, mais je ne suis plus étudiant !
Quand et comment lisez-vous pendant les vacances ? Matin ? soir ? à la plage ou enfermé dans votre chambre ?
Je lis sans habitudes. La plage n’est pas propice à la lecture pour moi. Il y a la mer, les gens à regarder, les histoires à écouter tout autour, des amis avec qui parler, cela suffit souvent à mon bonheur. J’aime lire au lit dans « les miettes » du petit déjeuner ou dans les cafés.
Les « miettes » du petit déjeuner vous gêneraient moins si vous aviez fait le saut du livre numérique ?
Je me sens vieux face au livre numérique mais quand je regarde ma bibliothèque et l’espace qu’elle prend chez moi, je me dis qu’il faudra bien y passer. Ma collègue Emmanuelle Bastide a trouvé aussi un très bon argument pour me convertir (peut-être) : les tablettes ont un dictionnaire de traduction incorporé, très pratique pour lire en anglais.
D’où vient votre goût pour la lecture ?
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours lu. Ma mère devait s’y reprendre à dix fois pour me faire venir diner. J’avais toujours une page à finir. Chez moi, il n’y avait pas énormément de livres mais chaque chambre avait une petite bibliothèque. Rien au salon, tout dans les chambres. La lecture était de l’ordre de l’intime. Je ne suis pas issu d’un milieu intellectuel, mais ma famille a toujours eu beaucoup de respect et d’attention pour les choses de l’esprit et de l’art. Nous allions toutes les semaines à la bibliothèque. J’avais des livres pour cadeaux. Je zieutais aussi dans les bibliothèques de mes sœurs. Je me souviens, un peu interdit, de la couverture en livre de poche de Hiroshima, mon amour. De mémoire, il y avait des lèvres rouges, cela m’intriguait pour ne pas dire plus !
Vos premiers souvenirs de lecture ?
Le premier livre que l’on m’a lu s’appelait « Pascal et le jardinier » dans la collection « Rose » ( je crois ). C’était l’époque ou je commençais à savoir lire et quand ma mère sautait des passages pour m’envoyer plus vite au lit. Je lui disais « Stop ! Tu n’as pas lu tel ou tel passage...». Ceci dit, je ne me souviens pas du tout de l’histoire. Plus vieux, j’ai adoré François Mauriac, Henri Bosco, Balzac, Zola… des choix très classiques. Mes grandes révélations littéraires, en tout cas, les livres qui m’ont marqué et qui me marquent encore sont arrivés plus tard, fin du lycée, début de la fac : Marcel Proust, Michel Leiris, Marguerite Duras, Robert Antelme, Nathalie Sarraute, Paul Claudel ….
Le dernier livre que vous avez aimé lire ?
Le dernier livre lu est Caprice de la reine de Jean Echenoz. Ce sont sept courts textes rassemblés dans un recueil, qui n’ont à priori rien à voir, mais qui pourtant racontent toutes les obsessions de cet auteur que j’adore car il sait être sensuel et haletant. Dans ces textes, il y est question d’une tentative de description de paysages, du jardin du Luxembourg, de Babylone ou du Bourget en région parisienne que le narrateur atteint après un long voyage en RER. Ce sont des miniatures. Ce que j’aime chez Echenoz c’est que tout tient dans l’écriture, dans le style, mais cela n’est jamais exhibé, pompeux ou démonstratif.
Un livre que vous aimez donner en cadeau ?
J’ai offert à tour de bras le roman d’Annie Ernaux : Les années. Elle est pour moi, l’un des plus grands auteurs de notre période et ce livre est exceptionnel tant il retrace un demi siècle de vie, la sienne et la nôtre. Ce qu’elle appelle une « autobiographie de l’extérieur ». C’est un livre où la langue raconte le temps. Son écriture, très sèche, suscite chez moi une très grande émotion par la précision qui est mise en œuvre, par la netteté des images qu’elle produit. J’ai offert ce livre à des gens très proches, à mon père qui n’est pourtant pas un grand lecteur de romans, mais aussi a des gens que je ne connaissais moins, comme un test, comme une proposition d’amitié.
Le ou les livres que vous ne lirez jamais ?
La très grande majorité. Il y a trop de livres écrits et publiés. Avec le temps, je suis de plus en plus exigeant, je n’ai plus de contrainte à lire des livres moyens qui sortent tous les mois pour alimenter les rayons des librairies.
Pourquoi est-ce que vous lisez ?
Je lis parce que c’est une chance extraordinaire de savoir lire, de rentrer dans la pensée des autres, de multiplier les expériences en restant immobile. Je lis pour faire de rencontres dans les pages. J’ai d’abord lu pour m’échapper du monde. Les livres étaient un refuge. Aujourd’hui, je lis pour aller à la rencontre du monde car les romans ou les pièces de théâtre - que j’affectionne particulièrement - augmentent ma sensibilité d’homme.