Anne Corpet: «Je lis parce que je n'ai pas trouvé mieux à faire»

Après avoir été grand reporter sur les cinq continents pour le compte de RFI pendant douze ans et chef du service France, Anne Corpet dirige aujourd'hui le service international de la radio mondiale. Les romans sont l'une de ses indispensables grilles de lecture des pays proches et lointains dont elle suit l'évolution au jour le jour.

Vacances riment-elles avec lectures pour vous ?

Oui, comme le reste du temps. Sauf que, pendant les vacances, je peux lire quand je veux, matin, soir, durant la journée, ce qui est un luxe impossible en période travaillée. En vacances, je peux lire n’importe où. J’ai d’ailleurs toujours un livre dans la poche du sac à dos ou dans le sac de plage, dans la portière de la voiture en tout cas. Et même un deuxième au cas où…

Est-ce que les vacances sont propices à un certain type de lecture ?

A des romans exclusivement. Je réserve la lecture de livres-documents aux périodes de travail.

Quels romans lirez-vous cet été et que vous avez peut-être déjà mis dans votre valise ?

Je ne sais pas encore, mais je vais piocher dans ma pile de livres à lire, qui compile des livres offerts, empruntés, achetés pendant l’année. Dès que son niveau descend trop bas, je me rue chez le libraire. Chaque été, je pars avec une besace pleine de livres, je ne les lis pas tous mais j’ai besoin d’avoir toujours la possibilité du choix.

Avec tous ces livres, votre valise de vacances doit être lourde. N’avez-vous pas été tentée de passer au livre numérique ?

Je n’ai pas essayé. J’aurais peur d’infliger à la tablette le sort que j’impose à mes livres, dont les pages sont parfois pliées pour ne pas perdre trop de temps à chercher où je m’étais arrêtée. Mes livres traînent dans le sable et sur le dessus de sacs à dos pas toujours très étanches… Le livre de papier, peu fragile, est peut-être plus adapté à mon manque de soin.

D’où vient votre goût pour la lecture ?

De ma famille. J’ai grandi dans une maison sans télévision. J’étais inscrite à la bibliothèque municipale dès mon plus jeune âge. Il y a toujours eu beaucoup de livres chez mes parents. Mes frères et sœurs lisaient, c’était une activité normale, quotidienne. J’ai hérité tout naturellement de cette culture familiale.

Votre premier souvenir de lecture ou de bonheur de lecture ?

Petite, j’ai dévoré la quasi-totalité des livres de la « Bibliothèque rose » : Le Clan des Sept, Le Club des Cinq, Fantômette. J’ai aussi dévoré toute l’œuvre de la comtesse de Ségur qui me semblait délicieusement désuète : les nécessaires de poupée des petites filles modèles me fascinaient ! De l’enfance j’ai aussi gardé le souvenir de Titsou les pouces verts de Maurice Druon, un livre plein de poésie qui m’a fait rêver. Et j’ai beaucoup pleuré en lisant Sans famille d’Hector Malot. A la pré-adolescence, je me souviens d'avoir plongé avec passion dans la saga des Thibault de Roger Martin Du Gard, apprentissage de la lecture de livres fleuves, en plusieurs tomes.

Certains de vos collègues disent qu’arrivés au lycée ils ont pris leur distance par rapport aux livres à cause de l’approche trop scolaire des enseignants. Pour vous, votre passion de la lecture a-t-elle survécu à l’épreuve du lycée ?

Au contraire, pendant mes années de lycée, j’ai établi un rapport un peu compulsif avec la lecture. Je choisissais un auteur, parfois découvert en classe, et je m’attaquais à son œuvre de la manière la plus exhaustive possible. J’ai, par exemple, lu la plupart des romans d’André Gide, après avoir étudié L’immoraliste en classe de cinquième. C’est aussi l’époque où j’ai lu Sartre, Camus, et autres incontournables de la littérature française moderne que je piochais dans la bibliothèque familiale. A la fin de mes années lycée, j’ai sorti mon nez du rayonnage familial, et ai découvert le vaste monde des rayons de librairies. J’ai notamment eu un vrai coup de foudre pour Marguerite Duras.

Qu’avez-vous aimé chez Duras ?

C’est avant tout sa manière d’écrire, unique, bien à elle, qui m’enchantait. Ses phrases courtes, son rythme si particulier. La solitude et l’amour, ses deux grands thèmes récurrents, me touchaient. Et puis j’aimais la belle collection de Minuit qui l’éditait. Je trouvais chic de laisser un Duras écorné dépasser de la poche de mon manteau. Je crois que j’aimais autant l’effet que produisaient mes lectures que les lectures elle-même. C’est cet orgueil adolescent qui m’a poussé, à l’âge de seize ans, à attaquer la Recherche du temps perdu, dans la collection de la « Pléiade », aux pages si remarquablement minces. Ce roman était réputé illisible dans ma famille et je ne connaissais personne qui l’avait lu.

Vous ne l’avez pas trouvé illisible puisque vous êtes allée jusqu’au bout ...

Oui, même si j’avais parfois l’impression de ne pas avancer. Mais j’étais fascinée. Proust pouvait décrire, par exemple, la texture du linge du grand hôtel de Cabourg. J’ai terminé le livre avec l’impression d’avoir gravi un sommet : épuisée, mais épatée par la vue d’ensemble, et très fière bien sûr.

La découverte de la littérature étrangère date-t-elle de la même époque ?

Je n’ai abordé la littérature étrangère que plus tard, étudiante, avec une grande prédilection pour les auteurs américains contemporains, et aussi de belles découvertes proche-orientales. Mais je n’ai jamais lu de roman japonais ou chinois…

Est-ce que vous direz que la connaissance de la littérature étrangère vous aide à comprendre l’actualité internationale que vous êtes amenée à déchiffrer aujourd’hui à longueur de journée, en tant que chef du service international de RFI ?

Bien sûr. J’ai longtemps été journaliste de terrain, et je glissais toujours dans ma valise un roman issu du pays où j’allais, ou au moins qui l’évoquait. Albert Cossery m’a accompagné en Egypte, Lionel Trouillot en Haïti, et j’ai lu Syngue Sabour d’Atiq Rahimi au cours d’un reportage en Afghanistan : magnifique monologue d’une femme, qui se libère du carcan conjugal et religieux devant le corps inanimé de son mari. Certains romans apportent un éclairage irremplaçable sur les tragédies des peuples : La Porte du Soleil d’Elias Khoury est par exemple un grand roman sur la résistance palestinienne.

Quel genre de lectrice êtes-vous ? Vous lisez de la première page à la dernière, ou vous arrive-t-il de sauter des pages quand la narration se ralentit ?

Je ne saute pas de pages. Mais j’abandonne très vite les livres qui m’ennuient ou que je trouve médiocres.

Qu’avez-vous lu d’intéressant ou de passionnant récemment que vous voudriez recommander aux lecteurs du site internet de RFI ?

Parmi les livres lus récemment, j’ai beaucoup aimé Réparer les vivants de Maylis de Kerangal qui raconte une greffe de cœur : c’est un voyage technique, émouvant, et très bien écrit. Son précédent roman, Naissance d’un pont était également très réussi. Je lis actuellement un livre d’entretiens avec Françoise Sagan. Je savoure son esprit vif, très fin, assez éloigné du personnage caricatural de « la Sagan », que l’on décrit avant tout attachée à ses voitures de sport et à son verre d’alcool. Qu’est-ce que je lirai ensuite ? Je prendrai le suivant sur la pile, un peu au hasard…

Y a-t-il un livre que vous aimez donner en cadeau ?

Le dernier que j’ai aimé, ou un auteur étranger que je veux faire connaître. J’ai souvent offert les livres d’Edgar Keret, un Israélien dont j’apprécie la poésie, l’humour et l’art de l’absurde. Il a une manière singulière de nous raconter le quotidien parfois surréaliste des israéliens. Il a surtout écrit de courtes nouvelles, dont le recueil  Crise d’asthme, le plus connu de ses livres. Et il milite pour la paix.

Le ou les livres que vous ne lirez jamais ?

Ulysse de James Joyce. Rien à faire, je n’y parviens pas. Mais je n’ai pas encore totalement renoncé. Dans un autre registre, je ne lirai pas Guillaume Musso et Marc Levy deux auteurs qui pulvérisent les ventes mais dont on me dit qu’ils n’ont pas grand intérêt.

Pourquoi est-ce que vous lisez ?

Parce que je n’ai pas trouvé mieux à faire...

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