RFI : J’ai eu l’impression en voyant votre film que c’était vraiment un film de l’intérieur, presque un huis clos.
Stefano Savona : Oui, c’est vrai que la place était énorme. C’est une place avec des kilomètres de longueur. C’était devenu un huis clos. On parlait de la République de Tahrir. C’était une patrie pour les gens qui étaient là-bas, une sorte de noyau des libertés, qui après s’est transformé dans la chute de Moubarak. Donc une liberté qui, à la rigueur, aurait pu entendre tout l’Egypte. Là, ce n’est pas vraiment le cas, mais cela, c’est une autre histoire que je n’ai pas pu vivre à l’intérieur comme c’était le cas sur la place Tahrir.
RFI : Vous n’êtes pas arrivé le premier jour, mais vous êtes très vite parti en Egypte. Le 25 janvier, quand vous avez appris qu’il se passait quelque chose place Tahrir, vous vous êtes dit : « Quelque chose m’oblige à y aller ».
S.S. : Oui. Ce quelque chose c’était ma relation avec l’Egypte, qui date depuis vingt ans, et mon envie de filmer la révolution. Cela, c’était plus qu’une envie. C’était un rêve. Et je n’aurais jamais imaginé en fait, de pouvoir un jour filmer ce rêve en Egypte. J’ai imaginé faire cela partout, sauf en Egypte peut-être.
RFI : Vous êtes arrivé au sixième jour de l’occupation de la place Tahrir, et en fait vous êtes resté jusqu’au bout. Et la fin c’est une joie extraordinaire et tout à fait communicative.
S.S. : C’était une joie partagée. Il y a beaucoup de joie partout dans le film. Donc il y avait beaucoup de joie tous les jours, mais il y avait aussi beaucoup d’angoisse et on était fatigué. Ce n’était pas une fête, il y a eu mille morts. On sentait que c’était fini pour Moubarak. On le sentait depuis le début, mais d’ici à ce qu’il démissionne, quand même on n’y croyait presque pas.
RFI : Il y a des protagonistes qui disent : « Quel miracle, cette révolution ! » Est-ce votre avis aussi ?
S.S. : Ah oui. C’est surtout pour ça que c’est bien la révolution, parce que c’est lié au miracle. Dès qu’il y a des gens sur une place, eh bien il y a la liberté. Des révolutions sont possibles, mais surtout des miracles sont possibles. Ce sont les seuls lieux qui restent pour les miracles. Pour le reste, on est obligé de se faire à la statistique, à la loi de la probabilité, mais pas quand il y a un million de personnes sur une place.
RFI : La grande qualité de votre film, c’est de faire ressentir la masse, le collectif, les gens qui par milliers, viennent sur la place Tahrir, mais aussi de s’attacher à quelques personnes, quelques protagonistes, qui sont très sensibles, et qui sont très raisonnés. C’est finalement une révolution très raisonnée. On y récite de la poésie, on a de très longues conversations. Il y a des femmes qui discutent infiniment sur les priorités de la révolution qui dissèquent la nature de la Constitution. Comment avez-vous choisi ces personnages ?
S.S. : C’était à l’instinct. J’avais un million de possibilités et j’avais trois heures pour les choisir. Donc, c’était la chance d’abord, et on s’est choisi en fait. Ce n’est pas que moi qui les ai choisis. Moi j’ai choisi El Sayed, le poète. Je ne savais pas en plus qu’il était un poète. Je l’ai choisi parce que je le trouvais beau. Je le trouvais intéressant et avec quelque chose qui m’échappait, mais que je voulais filmer. Et à la fin, j’ai découvert qu’il était un poète, au moment où il a sorti de sa poche des poèmes et où il a lu, là au milieu de la révolution.
J’ai choisi des personnages, des personnes qui sortaient des stéréotypes, des clichés, parce que là c’est toujours un peu le chantage du documentaire. Il faut raconter des gens typiques. Il faut rester dans les stéréotypes. Mais moi, quand je fais du documentaire, je cherche à faire du cinéma. Le cinéma, pour moi c’est le contraire du cliché, des stéréotypes. Il faut trouver des gens avec toutes leurs contradictions, des personnes vraies, qui pourraient devenir des protagonistes d’une histoire, doucement, comme la révolution. C’est le lieu de la liberté. Il faut trouver des gens qui amènent leur liberté dans les films. Pas autre chose.
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Stefano Savona est aussi co-réalisateur de Palazzo delle Aquile, primé du Grand Prix du festival Cinéma du Réel en 2011, qui raconte l’histoire de dix-huit familles mal logées qui occupent le siège de la Mairie de Palerme en Italie. Stefano Savona, Alessia Porto et Ester Sparatore ont suivi pendant un mois, jour par jour, nuit par nuit, l’occupation de la salle du conseil municipal de Palerme.