RFI : Le Festival d’Avignon sera-t-il comme chaque année l’apothéose de la création théâtrale en France ?
Jean-François Pujol :Il y aura sûrement beaucoup de choses intéressantes, mais il faut d’autant plus aller les voir qu’on n’est pas sûr de l’avenir. C’est le moins que l’on puisse dire. On est sûr d’un avenir qui déchante. Alors cela ne sera peut-être pas le festival d’Avignon sui sera en première ligne, mais ce qui s’annonce par le gouvernement fera que le spectacle vivant va énormément souffrir et qu’il va y avoir un véritable jeu de massacre dans tous les tissus du spectacle vivant en France.
RFI : Malgré la crise, est-ce que les compagnies, les comédiens, arrivent encore à aller à Avignon, à faire des productions, à louer des théâtres ?
J.-F.P. : Eh bien, je ne sais pas comment ils se débrouillent. On sait très bien qu’Avignon, ce n’est pas vraiment le lieu où l’on peut observer les meilleures conditions sociales. Il y a beaucoup de gens qui dépensent beaucoup d’argent pour louer une salle pas terrible et donc il ne reste plus d’argent du tout pour payer les salaires et les charges, parfois ils doivent, en plus, payer leur logement. Je vous parle du festival off, où chaque année il y a encore plus de spectacles.
Avignon, c’est toujours un peu le miroir aux alouettes. On espère toujours qu’on sera enfin reconnu, célébré, et qu’on aura toute une année de tournée. En réalité, les meilleures années, il y a un ou deux spectacles qui auront cette chance-là. Pas forcément autant que dans les années précédentes, puisque il faut que les acheteurs aient de l’argent aussi. Mais il y a beaucoup de désespoir à la sortie, parce que les gens y ont laissé beaucoup d’argent.
RFI : Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture, avait publié le 17 mai une lettre où il dit : « Culture en région : il n’y a pas de loup dans nos bergeries », et le ministère parle d’une augmentation du budget du spectacle vivant de 0,4 % en 2010.
J.-F.P. : Ce qui est sûr c’est qu’il a annoncé cela, mais il faut voir la date. Depuis, le Premier ministre François Fillon a annoncé, sur ordre du Président Sarkozy, que tous les budgets prendront moins 10 % en trois ans. Et donc, moins 5 % dès l’année 2011. C’est une catastrophe intégrale. On n’a jamais connu cela dans l’histoire du ministère. Il y a eu un peu de yoyo, moins 1 %, moins 2 %... les pires années moins 3 %. Moins 5 %, cela veut dire que beaucoup de festivals, beaucoup de compagnies vont disparaître. Or, d’ores et déjà, beaucoup de nos camarades salariés quittent cette profession, parce qu’ils ne trouvent plus de travail. On est vraiment dans un péril qu’on n’a jamais connu. C’est une agression sans précédent contre l’imaginaire.
RFI : Vous parlez des festivals annulés, des pièces reportées, des compagnies arrêtées, des théâtres sous-financés ou fermés… comme la fermeture du département de la création au théâtre Le Passage à Fécamp. Vous avez une vue globale de la situation ?
J.-F.P. : On parle de moins 20 % d’ouvertures de droits chez les intermittents du spectacle. Ce qui est considérable. C'est-à-dire que les gens n’ont plus assez de cachets pour ouvrir des droits dans les annexes. Il y a une baisse de 11 % du salaire médian, par le biais des congés spectacles, donc pour les salariés précaires. Baisse parce qu’il y a moins de travail ou parce que les salaires sont descendus ? Sans doute un peu des deux.
RFI : Une enquête empirique de l’association Culture et Départements montre que 14 des 18 départements interrogés diminuent les budgets de fonctionnement de la culture entre quatre et vingt pour cent. C’est une suite de la réforme des collectivités territoriales. Après les manifestations contre les coupures budgétaires en printemps, les comédiens et les professionnels du spectacle vont manifester à nouveau ?
J.-F.P. : Oui, le 15 juillet il y aura une journée d’action à Avignon, précédée par une assemblée générale où on va essayer d’informer la profession, parce que j’ai l’impression qu’elle ne réalise pas l’étendue du désastre annoncé et qu’il faut donc vraiment essayer d’empêcher.
Concernant la reforme des collectivités territoriales il y a plusieurs choses à dire : on avait réussi à rétablir la compétence, c'est-à-dire à faire une exception pour le tourisme, la culture et les sports, qui restait d’une compétence de toutes les collectivités territoriales. Sauf qu’il y avait un petit amendement qui disait que cela ne durerait que jusqu’en 2015. On a obtenu le retrait de cet amendement. Et on s’aperçoit qu’à la suite d’une seconde lecture au Sénat, cet amendement est en train d’être rétabli. C'est-à-dire qu’on aurait trois ans de répit avant que disparaisse la compétence générale. Donc, il y a une volonté manifeste d’agresser notre champ professionnel.
RFI : Et la réforme des collectivités territoriales?
Le Premier ministre a annoncé le gel des dotations des collectivités territoriales. Cela veut dire que les départements se retrouvent devant de véritables cas de misère sociale qu’ils doivent financer et bien évidemment, la tentation est grande, de supprimer le budget de la culture.C'est-à-dire que la catastrophe est par tous les bouts. On est pris en tenaille. Les collectivités territoriales n’ont plus d’argent, l’Etat n’a plus d’argent. Je ne fais pas du catastrophisme pour le plaisir. Il est évident qu’il va y avoir une purge drastique des activités du spectacle vivant et de la création.