Le prototype qui rapproche Arts et Science

Le public du festival d’Avignon attend cette année dans la cour d’honneur une petite révolution technologique : La Tragédie du roi Richard II  de William Shakespeare dans une nouvelle mise en espace sonore, grâce au système de projection WFS. Un prototype élaboré par l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM) permet de modifier la perception des sources sonores dans l’espace. Un modèle pour le Méridien Science-Arts-Société, programme d’action sous la tutelle de l'IRCAM et des lieux majeurs de la culture scientifique grand public, la Cité des sciences et le Palais de la découverte (UniverScience).

« Nous voulons imaginer et inventer une nouvelle relation science et arts » déclare le directeur de l’Ircam, Frank Madlener. Il veut relire des mondes qui sont souvent séparés : la culture artistique et la culture scientifique. « En science, en technologie, on sait exactement, ce qu’est un prototype : une fonction nouvelle, quelque chose qui va devenir générique. Dans les arts il existe aussi des projets prototype : des œuvres, des formats, des dispositifs, qui ont une fonction nouvelle. » Claudie Heigneré, l’ancienne ministre de la Recherche et actuelle présidente d’UniverScience, espère que ce Méridien démontre que « la science peut être source d’émotion, de création et d’enrichissement. »

Le frottement entre l’imaginaire et l’innovation.

En juin, au festival Agora, le public pouvait vivre cette relation forte entre la technique, la science et les arts : La chorégraphe Odile Duboc affrontait le Dialogue de l’ombre double de Pierre Boulez. L’espace blanc de la page de Georges Perec croisait l’espace visuel du vidéaste Pierre Nouvel et l’espace acoustique de l’œuvre musicale de Thierry Blondeau. Le moteur de ce Méridien est le frottement entre l’imaginaire et l’innovation. « Spontanément, les choses se font. Mais on manque de communication et de faire-savoir, estime Frank Madlener. Savoir qu’en ce moment à Grenoble, au pôle de recherche Minatec, en liaison avec le CEA, s’inventent des outils qui utilisent la nanotechnologie et simultanément, à l’Ircam, on propose un outillage qui va servir dans le cinéma ou au théâtre à Avignon, je vous assure que les uns et les autres ne le savaient pas. Quoi qu’on dise de l’interaction, de la globalisation, il manque cette communication, ce faire savoir. »

Les grands prototypes, des fonctions détournées par des artistes.

Faire fructifier la collaboration entre artistes, ingénieurs et scientifiques est une idée très ancienne. « En Italie, à la fin de la Renaissance, rappelle Frank Madlener, vous aviez des cénacles d'écrivain, de musicien, de théoricien de la prosodie, d'instrumentaliste. Un prince donnait les moyens, un groupe de musiciens et d’intellectuels florentins - qui s’étaient donné le nom de Camerata - réfléchissait à la notion de mettre en musique des affectes. De ce prototype est née l’histoire de l’opéra. Les grands prototypes, ce sont des fonctions qui étaient détournées ensuite par des artistes. »

Grainstick - l’artiste donne du sens à la boîte bourrée de technologies

La parenté entre l’atelier d’artistes et le laboratoire de chercheurs au 21e siècle est actuellement perceptible à la Cité des sciences. Les visiteurs peuvent s’immerger dans un prototype ludique et inédit nommé Grainstick : une installation multimédia conçue par le compositeur Pierre Jodlowski et le vidéaste Raphaël Thibault. Un grand cube noir de cinq mètres de long, cinq mètres de large et trois mètres de haut, s’avère être la carapace de cette installation immersive et interactive. A l’intérieur, les visiteurs peuvent manipuler un scénario à la fois musical et visuel. « Il y a un concentré de technologie à l’intérieur de ce dispositif, qui essaie de marier les technologies avant-gardes de captation, notamment avec ces manettes Wii-motes (de la console de jeu), qui sont traquées en temps réel dans l’espace et en trois dimensions où évoluent les spectateurs, avance le vidéaste Raphaël Thibaut. Il y a des barrières infrarouges, un processus de génération de son en temps réel et d’images. Toute cette matière est manipulable à volonté pour essayer d’effacer la lourdeur technologique, et de proposer au spectateur une expérience qui soit de l’ordre de sensible et de l’organique ». Les visiteurs sont transformés en musiciens, ils agitent les mains, les bras, les jambes et la tête et s’engouffrent dans la confusion grandissante entre mouvements réels et virtuels. La métaphore est forte : C’est l’artiste qui donne du sens à la boîte noire bourrée de technologies.

Rendre utile l’art, cela serait épouvantable

Cela dit, ce rapprochement entre arts et science exige un produit au bout de la chaîne. Ce concept du prototype comporte une logique industrielle. Est-ce que le Méridien science-arts-société essaie de rendre les arts plus efficaces et productifs ? « Là, il faut faire attention. Pour moi, prototype n’est pas qu’une terminologie technologique, poursuit Frank Madlener. Un artiste dirait : moi, je fais des prototypes qu’on ne duplique pas. Mais, si vous regardez l’histoire des arts, par exemple le Bauhaus (institut des arts et des métiers fondé en 1919 à Weimar). Il y a eu dans cette situation historique du Bauhaus l’idée que l’artisanat et l’art avaient quelque chose à se dire. La fonction était importante. Je ne crois pas qu’on va rendre utile l’art, cela serait épouvantable, mais de repérer dans une œuvre artistique un élément de type prototype que d’autres vont réutiliser. » Le manifeste du prototype est palpable. Des artistes et des scientifiques ne décrivent pas une thématique de recherche, mais présentent un objet. « Il faudrait que dès l’origine un projet technologique intègre des signatures artistiques dans sa propre constitution. On éviterait beaucoup de labyrinthes sans fins. Il y a un impact politique et esthétique à ce qu’on veut créer ici. » Pour le moment, la grande vision reste accompagnée de petits moyens avec un budget de 180000 euros pour le lancement.  « C’est pour cela qu’on va aussi faire appel à des moyens privés. »  

 

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