RFI : En quoi le festival « Imaginez maintenant » (mode, concerts, dégustations, funambule, expositions, spectacles, rencontres dans huit villes simultanément) est une proposition inédite, novatrice et représentative pour le travail du CCA ?
Dominique Hervieu : Il est innovateur, parce qu’il a à la fois quelque chose d’une fête, c’est extrêmement généreux, ça accueille beaucoup d’artistes et c’est gratuit. En même temps, il y a une exigence artistique très importante. L’intérêt, c’est d’aider les jeunes créateurs qui sont plutôt à leur deuxième projet. Ce sont ni des amateurs, ni des artistes confirmés, on les aide, on les soutient, on rend visible leur force créatrice. Est-ce qu’ils continuent à être artiste ou est-ce qu’au contraire, ils ne peuvent pas aller jusqu’au bout. On est là pour accompagner ce moment délicat.
RFI : En septembre 2009, le CCA a présenté dix projets. Entre autres, vous avez annoncé une école de cinéma nomade sur la péniche d’Abdellatif Kechiche avec des banlieusards en tant que mousses du cinéma, une « Colline des musées » afin que Paris « redevienne la capitale mondiale de l’art », une offensive des sciences sociales française aux Etats-Unis… Où êtes-vous dans la réalisation de ces projets ?
D.H. : Ca avance. Tous ces projets sont des projets très sérieux qui sont en train d’être mis en œuvre. Dans certains cas, cela prend du temps. « Imaginez maintenant » est la première trace très visible, puisque c’est un projet national que tout le monde peut voir. Le CCA fait en sorte que ses idées soient mises en œuvre. C’est un laboratoire d’expériences : d’abord, il faut les imaginer, ensuite il faut les mettre en œuvre et enfin elles sont évaluées d’une façon très objectives pour savoir si telle expérience est intéressante pour la pérenniser ou - au contraire - elle n’est pas prometteuse et ne résout pas grande chose sur le problème de la place de la culture.
RFI : Vous avez déjà eu un projet où vous avez constaté que le projet ne marche pas ?
D.H. : Non, parce que nous avons présenté les projets en novembre 2009, on est en train de les mettre en place seulement. La première évaluation, cela sera avec « Imaginez maintenant ».
RFI : Le budget du CCA s’élève à dix millions d’euros. C’est très peu comparé aux trois milliards d’euros du ministère de la culture. Certains observateurs estiment que c’est quand même le CCA qui donnera dorénavant le LA de l’orientation de la création artistique et de la politique culturelle en France.
D.H. : C’est une mauvaise information. Ce n’est pas du tout ça. Le Conseil de la création artistique est un laboratoire – ça a été dit par Marin Karmitz qui anime le CCA et par tous les membres. Ce n’est pas un ministère de la culture bis. Ce n’est pas un prototype qui révolutionnerait la politique culturelle. Ce n’est pas sa mission. Sa mission est de proposer des projets très concrets, qui posent des questions concrètes à un moment donné et qui les mettent en œuvre. Mais, avec la force d’un laboratoire : une rapidité d’exécution. J’ai fait « Imaginez maintenant » en neuf mois. C’est très rare d’avoir cette possibilité d’action et cette rapidité. Sa force, c’est cela.
RFI : En mars, avril et mai, des milliers d’artistes descendaient dans les rues pour manifester contre les coupures des budgets culturels. Les milieux artistiques craignent une baisse des subventions liées à la réforme des collectivités territoriales. En ce moment, le monde du spectacle en France est en crise ou en création ?
D.H. : La société est en crise. Il y a un problème de finance en France. La culture n’est pas épargnée. On est plutôt dans un moment où on va malheureusement vers des baisses. Jusqu’à maintenant on était toujours dans des augmentations au niveau des budgets de culture. Ce qui pose des problèmes à toutes les institutions qui avaient l’habitude de fonctionner avec un budget qui s’est développé. C’est une vraie crise. Mais c’est une crise financière nationale. Et la culture est évidemment aussi touchée.
RFI : Le CCA, sera-t-il le fer de lance pour mettre en œuvre des coupures dans le budget culturel ? Le Syndeac craint que le CCA cautionne le démantèlement de la culture.
D.H. : C’est totalement abusif. Ce sont des gens qui ne connaissent pas les missions du Conseil de la Création qui sont extrêmement claires. Ce qu’on peut peut-être reprocher au CCA, c’est au contraire de ne pas aller plus loin. Mais on n’a pas du tout cette possibilité d’action de démantèlement ou de choix ou de donner des subventions. C’est absolument mensonger.
RFI : Le Président Sarkozy avait promis en janvier 2009 une sorte de bouclier culturel pour sortir la France de la crise. Il avait déclaré que la France redémarrera par le biais de la culture. Comment voyez-vous le rôle de la culture ?
D.H. : La culture est très importante quelle que soient les périodes. Quand il y a une crise de société, l’homme n’est pas épargné : dans sa dignité, dans sa possibilité de développement, dans sa fonction, dans l’opération des êtres. En ce moment on a besoin de culture. Mais je ne pense pas que la culture soit la réponse à la crise financière et à la crise très grave que traverse l’Europe.
RFI : Vous êtes directrice du Théâtre National de Chaillot. Votre théâtre est touché par une grève. C’est aussi une expression de l’actuelle crise culturelle ?
D.H. : Oui, bien sur. Ce sont beaucoup de problèmes qui se sont accumulés et qui sont liés aussi au fait du changement de vocation de ce théâtre. C’était un théâtre qui était destiné au théâtre et qui vient être dédié à la danse. Ce qui a un peu perturbé les personnes qui sont très attachées à leur art, ce qui est
normal. Ce théâtre est aussi touché par des problèmes économiques. Le travail qu’il faut faire pour maintenir une activité forte artistique, c’est un travail délicat, qu’il faut mener en concertation avec l’ensemble du personnel du théâtre Chaillot et cela demande du temps, des réajustements.
RFI : Votre départ inattendu à Lyon - pour diriger à partir de 2012 la Maison de la danse et la Biennale - est-il lié à un échec de votre ambition ici à Chaillot ou à une chance d’être sollicité ailleurs ?
D.H. : Dans la saison dernière on avait plus de vingt pour cent de fréquentation par rapport à la saison dernière de mon prédécesseur. Quand on regarde les chiffres, on ne peut pas parler d’échec. J’aurais eu beaucoup d’autres projets si j’étais restée. Je ne suis pas contre Chaillot, mais je suis pour une proposition qui m’a été faite qui est extrêmement stimulante, c’est de diriger deux institutions historique pour la danse : la Maison de la danse de Lyon et surtout la Biennale. C’est un outil complètement exceptionnel et de niveau mondial. La Biennale est le plus grand festival de danse au monde.