La Colombie vote pour désigner un successeur à Alvaro Uribe

Ils sont neuf à espérer succéder à Alvaro Uribe, le président colombien très populaire, mais qui ne peut pas se représenter. Neuf candidats lors de ce premier tour de l'élection présidentielle ce 30 mai 2010 et deux favoris : Juan Manuel Santos, l'ancien ministre de la Défense, l'héritier politique du chef d'État sortant et Antanas Mockus, le candidat du Parti vert, ancien maire de la capitale, Bogota, qui fait campagne sur le changement et la lutte contre la corruption. Ils recueillent tous les deux plus de 30% des intentions de vote d'après les derniers sondages et devraient donc, selon toute logique, se retrouver au second tour prévu le 20 juin prochain.

 

Avec notre envoyée spéciale à Bogota, Alexandra Pineda

Le premier enjeu de ce scrutin est sans doute la continuité de la politique d’Alvaro Uribe ; en matière de sécurité, elle a été un succès incontestable. Et d’ailleurs sa stratégie sécuritaire a fait l’unanimité parmi tous les candidats.

Ce qui est en cause c’est sa méthode, puisque pour arriver à ses fins, le gouvernement Uribe n’a pas été très regardant sur les moyens, si l’on peut dire. On peut relever notamment des violations des droits de l’homme, la séparation des pouvoirs qui a été mise à mal ainsi qu'une confrontation permanente avec la justice, et notamment avec la Cour suprême qui a été mise sur écoute par les services secrets de l’État. Services secrets qui ont espionné des personnalités de l’opposition, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme…

C’est là que se situe l’enjeu entre la continuité d’une stratégie sécuritaire à tout prix, d’un côté. Et de l’autre coté, l’idée qu’il est possible de garantir la sécurité des citoyens, tout en respectant la loi.

C’est sans doute ce qui explique le succès, du moins dans les sondages, des deux favoris de ce premier tour : le professeur Antanas Mockus et le candidat de la majorité Juan Manuel Santos.

Il y a un autre enjeu ce dimanche, c’est la possibilité de rompre avec la tradition d’abstentionnisme de la Colombie. En effet, dans ce pays, moins de la moitié des électeurs se rendent aux urnes. Et ce, pour toutes les élections. Quelles soient présidentielle, législatives ou municipales.

Or, selon un sondage récent, près de 70 % des électeurs auraient l’intention d’aller voter ce dimanche. Le chiffre sera sans doute moins important, mais on s’attend quand même à un record de participation qui pourrait donner un caractère historique à ce scrutin. Et cela, malgré les menaces des FARC, qui comme d’habitude, tentent de boycotter le scrutin et qui ont redoublé leur activité ces dernières semaines.

Antanas Mockus, l'inclassable

Deux candidats sont au coude-à-coude. Il s’agit du dauphin d’Alvaro Uribe, l’ancien ministre de la Défense, Juan Manuel Santos et de l’ancien maire de la capitale, Antanas Mockus. Ce dernier a été la grande surprise de cette campagne électorale. C’est un professeur, un académicien, un mathématicien philosophe d’origine lituanienne. Deux fois maire de Bogota dans le passé Antanas Mockus se présente sous la bannière du Parti vert, même si on peut douter de ses engagements écologiques. Le personnage est vraiment hors normes. Un peu extravagant et politiquement inclassable.

D’ailleurs, quand on lui pose la question, il dit qu’il n’aime pas les étiquettes. En tout cas, il est pour un État fort, un État régulateur et redistributeur. Il a annoncé qu’il ferait payer les riches pour financer des politiques d’éducation et de santé publiques.

Mais il n’a pas vraiment de discours politique. Ses interventions se résument à lancer des slogans du genre : « La vie est sacrée, l’argent public est sacré » et il utilise des symboles comme le crayon, pour dire qu’il faut écrire l’histoire de la Colombie avec des crayons et non pas avec du sang. Il parle parfois comme un professeur. Parfois on se croirait face à un prédicateur, à un curé. Mais le fait est qu’il a cassé tous les schémas du discours politique traditionnel.

Juan Manuel Santos, l'héritier

Et de l’autre côté, son principal rival, c’est évidemment le candidat de la majorité présidentielle, Juan Manuel Santos, considéré comme l’héritier politique du président Uribe. Santos est membre d’une des familles les plus influentes de la Colombie, propriétaire du principal journal du pays, de chaînes de télévision...

Il a été trois fois ministre, et en tant que ministre de la Défense du président Uribe, il fut l’artisan de la célèbre « operación Jaque » qui a permis la libération d’Ingrid Betencourt, ainsi que de l’attaque contre un campement des FARC en Équateur, pour éliminer le numéro deux de la guérilla, Raul Reyes. Une opération qui a provoqué la rupture des relations diplomatiques entre la Colombie et l’Équateur et qui lui a valu d’être poursuivi par la justice équatorienne. Il faut encore ajouter que Juan Manuel Santos brigue, pour la première fois, un mandat électoral.

La transparence électorale : un vrai défi en Colombie

C’est la grande question en ce moment, aussi bien dans la rue que dans les médias. Il y a en une certaine tradition de fraude électorale. Les voix sont échangées contre de l’argent ou contre des faveurs. Mais lors des élections législatives du mois de mars 2010, on peut dire que toutes les bornes ont été dépassées. Des irrégularités flagrantes ont été commises. On parle d’une fraude massive qui a été signalée par les observateurs de l’Organisation des États américains et par le mouvement des observateurs indépendants de Colombie.

Donc, ce précédent des législatives nourrit, évidemment, la méfiance pour le scrutin de ce dimanche. D’autant plus que le système électoral est complètement archaïque ; il n’y a pas de système électronique, les bulletins sont en papier, etc… A cela s'ajoutent, ces derniers jours, de nombreuses interventions des membres du gouvernement en faveur du candidat de la majorité, Santos, ce qui est interdit par la loi colombienne.

 

Partager :