Washington déroule le tapis rouge pour le président Karzaï

La visite de quatre jours qu’effectue Hamid Karzaï est présentée – à Washington comme à Kaboul– comme une étape cruciale dans les relations entre les Etats-Unis et le gouvernement afghan.

L’agenda est chargé : lutte contre la corruption mais aussi ouverture d’un dialogue avec les insurgés acceptant de rendre les armes. Sur tous ces sujets, il s’agit aussi de dissiper les malentendus et les critiques entendues de part et d’autres ces derniers mois, au lendemain d’une visite éclair du président Obama à Kaboul. C’était au mois de mars. L’insistance de Washington à obtenir des résultats en matière de bonne gouvernance avait été mal perçue et suivie d’un raidissement des relations entre les deux pays. Depuis, l’administration américaine a adopté une attitude plus respectueuse et multiplie les gestes en faveur du chef de l’Etat afghan. C’est la première fois qu’il reçoit un accueil aussi favorable aux Etats-Unis, depuis l’arrivée de Barak Obama au pouvoir.

Le langage de fermeté de Washington

Dans la continuité des précédentes rencontres, Washington a décidé de maintenir le langage de fermeté adopté jusque-là par l’administration Obama à l’égard du gouvernement Karzaï, en matière de gouvernance. Depuis plus de huit ans que l’armée américaine est déployée en Afghanistan, le commandement américain aussi bien que les principaux responsables politiques observent que le gouvernement afghan reste très contesté pour son action dans l’ensemble du pays et n’hésitent pas à incriminer la corruption du personnel en place.

Les représentants de la communauté internationale – ONU, Union Européenne et Etats-Unis – n’ont pas ménagé leurs critiques à l’égard du président Karzaï, au moment de sa réélection en novembre dernier, l’accusant d’avoir emporté l’élection à coup de fraudes massives. Sous le feu des critiques, le président Karzaï a – tardivement – retourné ces accusations contre leurs auteurs. Le gouvernement afghan ne cesse par ailleurs d’expliquer que 80% de l’aide destinée à l’Afghanistan lui échappe, et qu’en toute logique, les allégations de corruption ne peuvent donc se concentrer uniquement sur une administration qui ne voit passer que 20% des fonds débloqués par les donateurs.

Avant même l’arrivée du président Karzaï à Washington, la Maison Blanche aurait cependant décidé d’aborder ces sujets de façon dépassionnée, sans perdre de vue l’objectif ultime : la fin de l’insurrection talibane.

Les vaines prières de Karzaï

Du point de vue afghan, le président Karzaï aura à cœur de rappeler à son hôte américain la nécessité d’intensifier les efforts visant à minimiser le nombre de victimes civiles. Depuis le début de la guerre en 2001, l’année 2009 à enregistré le bilan le plus lourd : 2 400 civils afghans, tués par les insurgés, dans des attentats aveugles mais aussi victimes des troupes américaines et de leurs alliés de l’OTAN. Entre octobre 2009 et mars 2010, le Pentagone reconnaît la mort de 49 civils, dans des opérations qualifiées de « bavures ». Les forces étrangères admettent depuis longtemps déjà la gravité et le caractère contre-productif de ces erreurs mais ne parviennent pas à y mettre un frein. Ce n’est que l’une des difficultés auxquelles se heurte le président Karzaï dans son propre pays, pour faire admettre la présence étrangère.

Moment crucial pour les alliés

Ce message est d’autant plus important à faire passer que le commandant américain McChrystal attend l’arrivée de quelque 20 000 soldats supplémentaires, pour lancer en juin 2010 une offensive d’envergure dans le sud du pays, à Kandahar, région d’origine de Hamid Karzaï, là où les talibans sont aussi les mieux installés. En préparation de cette ultime bataille, le général américain s’est ostensiblement affiché aux côtés du président Karzaï face aux responsables locaux, au cours d’une cérémonie visant à recueillir l’assentiment des chefs tribaux. Pourtant, l’événement fut diversement apprécié. Alors que le général McChrystal quittait la province avec le sentiment d’avoir – par son geste même – recueilli l’approbation des populations locales, Hamid Karzaï, lui, s’exprimant dans sa langue, le pashtoun, aurait affirmé à ses interlocuteurs que l’offensive ne serait déclenchée sans leur accord.

Cet épisode semble illustrer une fois de plus la délicate position du président Karzaï, sans cesse sermonné par Washington, alors qu’il lui faut impérativement apparaître, face à ses administrés, autrement que comme une marionnette dans les mains des étrangers. En recevant Hamid Karzai avec tous les honneurs, les responsables américains tentent de lui reconnaître cette stature de « président de tous les Afghans » que lui contestent ceux qui le présentent ironiquement comme simple « maire de Kaboul ».

Dialogue sous conditions

L’autre grand motif de fâcherie entre les deux administrations porte sur le dialogue avec les talibans. Hamid Karzaï, qui avait entamé une approche au plus haut niveau avec les talibans afghans et notamment les principaux responsables de la shura de Quetta (du côté pakistanais de la frontière), a très mal vécu l’arrestation au Pakistan du mollah Baradar avec lequel un échange était en train de se nouer. Washington, qui s’est félicité de cette arrestation, ne semble pas partager l’empressement du président Karzaï à négocier avec la plus haute hiérarchie du mouvement insurrectionnel, tant que les forces afghanes et étrangères n’auront pas acquis sur le terrain une avancée déterminante. L’administration américaine compte sur le déploiement des renforts américains et la montée en puissance des opérations armées dans la province de Kandahar pour lui procurer cette avance. Ce n’est qu’en étant assuré d’une position dominante que Washington accepterait des pourparlers de haut niveau.

Le président Karzaï, qui a prévu de tenir une jirga de la paix d’ici la fin du mois de mai 2010, devrait se cantonner à proposer aux insurgés des conditions de réintégration avantageuse dans la vie civile, mais il lui sera difficile d’aller plus loin. La tenue de cette jirga constitue également une étape importante avant le déclenchement de nouvelles opérations militaires dans le sud. L’important pour la coalition et l’armée afghane n’étant pas simplement de pouvoir reprendre du terrain des mains des insurgés, mais de pouvoir le garder et y développer une administration digne de ce nom.
 

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