Philippines : une élection historique pour plus de transparence

Les 50 millions d’électeurs philippins renouvellent presque tous les postes électifs du pays depuis les maires jusqu’au président. En tout, près de 18 000 fonctions sont à pourvoir en un jour, ce 10 mai 2010. Ce défi logistique est d’autant plus important que ce sera la première fois que l’archipel asiatique utilisera des machines pour compter les votes et transmettre les résultats. Ce système soulève de grands espoirs de transparence dans un pays habitué à des tricheries massives, mais son organisation a été semée de nombreux dysfonctionnements, et ce, jusqu’à la dernière minute.

La Commission des élections est en train de remporter la folle course contre la montre lancée depuis une semaine, et à l’ouverture des bureaux de vote ce 10 mai, les craintes de l’échec de l’organisation technique des élections semblent dissipées. Lundi dernier, à huit jours seulement du scrutin le plus important des Philippines, les premiers tests en situation réelle des machines de comptage de vote avaient totalement échoué : des votes n’avaient pas été enregistrés, d’autres avaient été attribués à de mauvais candidats. La Commission des élections (Comelec) et Smartmatic, la compagnie vénézuélienne chargée de fournir les machines, ont dû remplacer en quelques jours les cartes de chacune des 76 000 machines, réparties dans cet archipel de plus de 7 000 îles.

« Nous pouvons sourire à nouveau : nous sommes maintenant prêts à 98% pour ces élections historiques », assurait à la veille du scrutin José Melo, le directeur de la Commission des élections. Les médias et organisations de la société civile ne montraient pas, eux, une telle décontraction, dans un pays qui est connu pour d’importants scandales de tricherie et d’achats de voix, et où les institutions font elles-mêmes l’objet de toutes les défiances. Lors de la dernière élection de 2004, la présidente sortante, Gloria Arroyo, a été enregistrée en train de négocier l’achat de voix en sa faveur avec le directeur de la Comelec.

Le nouveau système, qui enregistrera les votes de manière électronique et transmettra directement les résultats à Manille par internet, devrait mettre fin à ces manipulations. Ce scrutin porte plus généralement l’espoir d’un changement profond dans cette société philippine.

Une impopularité record

Gloria Arroyo termine en effet sa présidence de neuf ans avec la cote de popularité la plus basse pour un président depuis vingt ans. Ce long mandat a été entaché de nombreux scandales de corruption irrésolus qui ont impliqué les membres du gouvernement et ceux de la famille de la présidente qui a résisté à quatre tentatives de destitution.

Dans la course à la présidentielle, c’est son opposant frontal, Benigno «Noynoy»

Aquino III, qui est donné favori, avec près de 20 points d’avance dans les sondages sur le richissime sénateur Manny Villar.

Noynoy Aquino capitalise sur l’image d’honnêteté de sa mère, l’ancienne présidente Corazon Aquino, défunte en août dernier et élevée au rang d'idole par le peuple philippin pour avoir restauré la démocratie, en 1986, après la chute du dictateur Ferdinand Marcos. Ce fils reprend ainsi dans son programme les valeurs d’intégrité portées par sa mère : « Il manque 40 000 salles de classe dans le pays, ce qui oblige les professeurs à faire deux sessions de cours dans la journée et les enfants doivent se serrer à plus de cinquante par salle. Or nous avons calculé que nous pourrions construire toutes ces classes rien qu’avec 10% de l’argent qui est gâché dans la corruption », explique-t-il dans sa maison familiale de Manille, où il a reçu RFI.

Cet homme de 50 ans, à l’allure étonnamment réservée et peu charismatique, doit encore prouver qu’il est capable de mettre en place ces réformes : car après 12 ans passés au Congrès, puis au Sénat, il n’a fait adopter aucune loi majeure.

Les Marcos, le retour

Ce vote pour le changement ne sera en aucun cas une révolution : Noynoy Aquino appartient à une grande dynastie d’aristocrates et de propriétaires terriens, et s’il est élu, beaucoup craignent que ce clan ne pérennise le système de corruption publique qui gangrène les Philippines et classe le pays dans les 50 plus corrompus du monde. « Certains membres de la famille Aquino ont déjà été accusés de corruption du temps de Corazon Aquino. Si Noynoy est élu, ceux-ci chercheront à retrouver leurs privilèges, et cela empêchera encore une fois l’Etat d’attribuer des fonds pour la lutte contre la pauvreté et le chômage », analyse Benito Lim, chercheur en Sciences politiques à l’université Ateneo de Manille.

Les dynasties politiques devraient continuer à occuper la majorité des postes locaux après cette élection qui verra également le renouvellement de tous les maires, députés et gouverneurs ainsi que 12 sénateurs. La présidente sortante, elle-même fille de président, devrait être élue députée dans sa province d’origine et pourrait ainsi siéger aux côtés de quatre autres membres de sa famille issus du Congrès précédent. Cette élection marque également le grand retour d’une autre dynastie : les Marcos. Imelda, la veuve de l’ancien dictateur, âgée de 80 ans, se présente comme députée dans la province d’Ilocos Norte, au poste occupé par son fils, Bonbong, qui lui se présente comme sénateur à Manille, un des postes les plus élevés du pays. Si ce dernier réussit ce pari, cela serait la première fois qu’un membre de la famille Marcos est élu à une fonction de représentation nationale depuis la chute du patriarche en 1986.

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