Win Tin sur RFI : «La LND continuera d’exister dans nos têtes et dans nos coeurs»

Comme tous les partis désireux de participer aux prochaines élections, le parti de Aung San Suu Kyi avait 60 jours ─ à compter de la publication de la nouvelle loi électorale ─ pour déposer un dossier devant la commission électorale. Le délai expire ce jeudi 6 mai 2010 et la Ligue nationale pour la démocratie, qui a opté pour le boycott du scrutin, n'a pas souhaité s'enregistrer. En conséquence, ce jeudi, la dissolution de la LND est désormais inévitable. C'est une page qui se tourne dans l'histoire de ce pays et un revers important pour l’opposition birmane. Pour en parler, nous avons joint au téléphone à Rangoon un membre éminent du parti : Win Tin, qui est à l'origine de la création de la LND aux côtés de Aung San Suu Kyi.

Win Tin, en 1988, -année de la révolte populaire en Birmanie-, était déjà un écrivain journaliste reconnu, il avait déjà essuyé des décennies de censure dans la presse, pour ses prises de position pro-démocratiques. Son entrée en politique s'est faite progressivement, sous les coups de boutoir de la junte, parce qu'il fallait bien réagir à la répression féroce des militaires contre les étudiants et les manifestants birmans qui s'étaient mobilisés pacifiquement contre les autorités du pays.

Aung San Suu Kyi venait tout juste de rentrer au pays pour visiter sa mère malade. Elle était fille du général Aung San, père de l'indépendance et s'est trouvée elle-même embringuée dans les événements, happée par la politique. Win Tin l'a aidée à mettre sur pied un parti pour structurer le mouvement de contestation.

En fait, lorsque la LND a remporté les élections de 1990, Win Tin et Aung San Suu Kyi étaient déjà en état d'arrestation. Elle y est toujours, n’ayant bénéficié que de quelques années de relative liberté. Il n'en est sorti qu'en 2008, et voici aujourd'hui comment il analyse la situation.

Interview réalisée par téléphone le 5 mai 2010

Win Tin : Si l’on s’en tient à la loi électorale, du fait que nous n’avons pas souhaité procéder à un nouvel enregistrement de notre parti, nous ne serons plus considérés comme un parti politique.

Donc notre parti se retrouvera dissout par le gouvernement, je ne sais pas de quelle manière, mais nous serons dissous en tant que parti. C’est la version officielle. Mais l’autre version, quelle que soit la décision du gouvernement, c’est que l’on ne peut pas nous éliminer d’un trait de plume. On n’empêche pas un parti d’exister par décret. Nous n’abandonnerons pas notre idéologie, notre action politique, notre leadership. Nous nous maintiendrons en tant que parti.

Comme la loi nous donnait soixante jours pour déposer notre dossier, ce jeudi 7 mai notre parti est dissout selon les termes du gouvernement, mais en ce qui nous concerne, notre parti continu d’exister à travers ses membres, il reste dans nos cœurs et dans nos têtes. Cela nous est égal qu’ils nous dissolvent, nous ne disparaitrons pas pour autant. Nous resterons là, nous ne cesserons pas d’exister en tant que parti.

RFI : Mais vous qui avez contribué à la création de ce parti, aux côtés de Aung San Suu Kyi, que ressentez-vous aujourd’hui dans de telles circonstances ?

Win Tin : Cela me brise le cœur évidemment. Nous sommes vraiment désolés d’en arriver à cette mesure de dissolution de notre parti. Je n’aurais pas aimé voir ça.
J’ai été l’un des fondateurs du parti, le 27 septembre 1988. Plus de vingt ans après, je conserve une grande foi dans ce parti, ses dirigeants, Daw Aung San Suu Kyi, et U Tin Oo, je continue de croire dans nos objectifs politiques, pour l’instauration d’une véritable Union fédérale, respectueuse des droits de l’homme et des règles démocratiques, favorable à la réconciliation nationale.

Ce qui arrive aujourd’hui me désole profondément, car c’est pour défendre les principes d’un tel parti que j’ai fait vingt ans de prison. Je pensais qu’un jour je pourrais voir ce parti servir le peuple, et diriger le pays. J’ai donc passé près de vingt ans en prison pour ça puis j’en suis sorti en septembre 2008, et voilà qu’au bout d’un an et demi je vois ce parti promis à la disparition. Cela me brise le cœur.

Puisque le gouvernement décide que la LND n’existe plus, nous n’aurons plus la possibilité de tenir des meetings et des réunions entre membres du Comité central exécutif, ni de sortir des communiqués mais nous continuerons l’action politique auprès du peuple.

Les gens ont leurs idéaux politiques, ils ont leurs propres aspirations, et leurs motifs de protestations. Les gens sont très politisés de façon générale. Même sans parti politique, ils font de la politique, ils ont des opinions politiques, ils détestent le gouvernement militaire et réagissent contre l’oppression et toute sorte de choses.

RFI : Vous ne regrettez pas d’avoir prôné le boycott des prochaines élections ?

Win Tin : Non, je n’ai aucun regret. Vous savez, si nous avions décidé d’aller aux élections que se passerait-il ? Rien du tout. Vous avez lu la Constitution de 2008 ? C’est impossible pour un parti digne de ce nom, impossible pour un homme politique honnête d’agir dans le cadre de cette Constitution. Elle ne garantit aucun principe démocratique. Elle ne respecte pas les droits de l’homme, les droits des minorités, les droits du citoyen, rien du tout. Tout reste sous le contrôle de l’armée et des militaires.

Nous sommes promis à de longues années d’esclavage au profit des généraux. Je n’ai donc aucun regret. Sinon, nous aurions perdu toute dignité, toute crédibilité, en nous mettant au service de la junte. Nous ne pouvons pas faire ça, maintenant, moi et mes camarades du parti, nous qui avons passé ces vingt dernières années enchaînés dans les prisons de la junte. Nous avons enduré cela, pour le parti, parce que nous voulions nous débarrasser de la dictature militaire. Cela fait bientôt cinquante ans qu’elle est installée, depuis 1962.

RFI : Quel soutien attendez-vous de l’extérieur, des Etats-Unis, de l’Europe ?

Win Tin : Nous ne pouvons pas tout attendre de tous les pays étrangers. Bien sûr nous attendons beaucoup des Américains, des Britanniques, de l’Union européenne… de la part des pays démocratiques, mais on ne peut pas en attendre autant de la part de la Chine ou de la Russie. Pourtant nous avons vraiment besoin d’aide, aussi bien sur le plan matériel et moral.

Ces vingt dernières, nous avons bénéficié du soutien moral et politique des démocraties occidentales, mais en même temps, ces pays sont un peu hésitants. Récemment, les Etats-Unis ont inauguré une politique d’engagement au dialogue avec la junte, même s’ils ne lèvent pas les sanctions, il y a cette politique de la main tendue au gouvernement militaire. De toute façon la junte sait que ces pays ne sont pas vraiment déterminés et les militaires ne vont pas faire ce qu’ils devraient faire.

RFI : Qu’espérez-vous encore aujourd’hui ? Retrouver Aung San Suu Kyi, en liberté ?

Win Tin : Elle devrait sortir et elle va sortir, dans pas très longtemps, peut-être vers le mois de novembre ou un peu plus tard. Et là, tout le monde sera derrière, elle conduira le peuple. C’est le grand espoir des Birmans. Nous pensons qu’elle peut résoudre tous les problèmes. Elle est d’un grand courage et d’une détermination sans faille. C’est pour ça qu’elle n’a jamais choisi de retourner en Grande-Bretagne retrouver le reste de sa famille. Au lieu de cela, elle est restée en Birmanie où elle a passé près de 14 ans en détention.

 

Win Tin, auteur de Une vie de dissident (Michel Lafon) en collaboration avec Sophie Malibeaux, Grand Reporter à RFI.

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