Abhisit Vejjajiva poussé à des élections anticipées

La tension est à son comble dans la capitale thaïlandaise. Après la mort de 21 manifestants dans les affrontements samedi entre « chemise rouges » et l’armée, les partisans de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra réclament plus que jamais la démission de l’actuel gouvernement. Les autorités affirment de leur côté que des « terroristes » s’étaient glissés dans les manifestations de samedi 10 varil 2010. Contrairement à ce que laissaient entendre le Bangkok Post lundi matin, aucune discussion ne serait en cours pour d’éventuelles élections anticipées. Mais le Premier Ministre, Abhisit Vejjajiva, n’a plus beaucoup de cartes en main, estime Yvan Cohen, directeur de l’agence « onAsia » et spécialiste de la politique thaïlandaise.

Yvan Cohen : C’est difficile d’imaginer l’actuel gouvernement se maintenir au pouvoir en l’état. Les autorités thaïlandaises font face à une crise de crédibilité sans précédent. L’Etat à été incapable de contenir les manifestations et les 21 morts – et près de 900 blessés – de samedi ne font que renforcer la détermination des protestataires. En même temps, le Premier Ministre, Abhisit Vejjajiva multiplie les déclarations de fermeté et semble toujours bénéficier du soutien de l’armée.   

RFI : Quelles sont les moyens d’action du Premier Ministre face à la pression de la rue ?

Yvan Cohen : En réalité les options sont très limitées. Abhisit peut répondre aux demandes des manifestants à savoir dissoudre le Parlement et organiser des élections anticipées prévues au départ pour dans 9 mois. Il peut aussi tenter de trouver un compromis a minima, mais pour l’instant ce n’est pas l’état d’esprit qui semble prévaloir dans le pays. Aucune de parties ne semblent vouloir céder. La mort de manifestants ne laisse entrevoir aucune porte de sortie du côté des « chemises rouges » qui affichent plus que jamais une attitude de défiance vis-à-vis du gouvernement.
 
RFI : Que s’est-il passé lors des manifestations samedi ? Les autorités évoquent la piste de « terroristes » qui se seraient glissés dans les cortèges ?
 
Yvan Cohen : Le gouvernement a beau jeu de qualifier les « chemises rouges » de terroristes voir d’extrémistes utilisant des armes de guerre, si on regarde ce qui s’est passé en réalité, on voit que les forces de l’ordre ont tenté de disperser les manifestants qui se rassemblaient dans un quartier très fréquenté par les touristes. Les manifestants ont refusé d’obtempérer et des affrontements ont éclaté dans plusieurs points de la ville. Le gouvernement tente aujourd’hui de leur faire porter la responsabilité. En réalité, c’est d’abord un échec des autorités dans leur tentative de canaliser les opposants et de faire face à ce mouvement de protestation qui ne cesse de gagner en détermination.
 
RFI : Avant d’employer la force, le gouvernement thaïlandais a tenté d’utiliser les moyens légaux pour empêcher les manifestations. Là encore cela n’a pas fonctionné…

Yvan Cohen : Cela est d’ailleurs à porter au crédit du gouvernement. Les autorités ont tenté de donner le plus d’espace possible aux « chemises rouges » en évitant au maximum la confrontation. L’argument étant : « la critique est un droit en démocratie ». Une fois les choses dites, il reste que le gouvernement fait face à une terrible crise de crédibilité. Et d’abord parce que l’Etat n’a pas été en mesure d’atténuer la contestation. On le mesure d’ailleurs au sein des supports traditionnels de l’actuel gouvernement qui se demandent si le Premier ministre est capable de répondre à cette crise.             
 
RFI : Ya-t-il des divisions aujourd’hui au sein du gouvernement ?

Yvan Cohen : Pas pour l’instant. Cette crise est très complexe à analyser car elle repose sur de très nombreux facteurs qui n’ont pas seulement à voir avec les « chemises rouges ». Il y aussi les inégalités qui n’ont cessé de s’accroître alors que le pays connaissait un boom économique. C’est aussi un conflit entre factions rivales entre les élites. Et puis il ne faut pas négliger tous les mécontents. Ils sont très nombreux au sein de la population à considérer qu'avec ces manifestations à répétition, les « chemises rouges » prennent l’actuel gouvernement et l’économie thaïlandaise en otage. Cela crée de la frustration et une très grande inquiétude. Beaucoup craignent que les choses dégénèrent.

RFI : Thaksin Shinawatra a-t-il gagné du terrain avec les incidents de ces derniers jours ?

Yvan Cohen : L’ancien Premier ministre bénéficie d’un vrai soutien au sein de l’opinion et particulièrement auprès des masses rurales du nord du pays. Il est considéré par ses partisans comme celui qui a su prendre en considération leurs difficultés en prônant notamment un rééquilibre des richesses. Peut-il pour autant revenir au pouvoir ? Cela semble difficilement envisageable vu que Thaksin Shinawatra a été condamné pour corruption.        
 
RFI : Comment la crise peut-elle évoluer ?

Yvan Cohen : La crise a commencé avec le coup d’Etat en 2006 et depuis, rien n’a changé ! Il y a toujours d’un côté une partie de la classe politique qui dit représenter les campagnes et les pauvres et qui continue de soutenir Thaksin Shinawatra. Et de l’autre l’establishment, les élites qui soutiennent le gouvernement actuel. Le Premier ministre peut-il se tirer de cette crise ? Je ne crois pas car apparemment l’Etat a perdu le contrôle de la situation. La seule solution serait donc de parvenir à un compromis. Abhisit Vejjajiva doit accepter de perdre un peu de terrain et peut-être de dissoudre son gouvernement pour revenir plus tard. L’autre option serait la fermeté et de faire appel à l’armée, mais les militaires sont déjà intervenus et on a vu avec quel résultat samedi. De leurs côtés, les « chemises rouges » semblent plus que jamais déterminées à aller jusqu’au bout. Le Premier Ministre peut donc se maintenir au pouvoir mais il n’a plus beaucoup de cartes en main d’autant que la situation économique ne cesse de se dégrader. Les grandes surfaces dans le centre de Bangkok sont fermées, le secteur du tourisme enregistre des annulations en cascade et l’économie thaïlandaise a déjà perdu près de 35 milliards de baths (environ 800 millions d’euros).  

 

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