Pour parvenir à une conclusion valable sur l'épineuse question du nucléaire iranien, Barack Obama souhaite l’unanimité, en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies où il est parvenu à amadouer la Russie en renonçant au projet d’installation de lance-missiles de son prédécesseur George Bush.
Reste la Chine, sa traditionnelle politique de non-ingérence dans les affaires des autres nations, surtout lorsqu’il s’agit d’une puissance énergétique comme l’Iran, et son tropisme pour un monde dont les Etats-Unis ne seraient plus le chef d’orchestre. Or Pékin se confirme comme le chef de file des adversaires du renforcement de sanctions internationales contre l’Iran.
Bien plus qu’un bras de fer entre des démocraties occidentales et une République islamique soupçonnée de vouloir se doter de l’arme atomique, le dossier nucléaire iranien est désormais le théâtre d’une bataille cruciale pour le leadership mondial et un contrôle énergétique accru. Avec les deuxièmes réserves de gaz et de pétrole au monde et sa situation géo-politique particulière, l’Iran est un enjeu stratégique qu’Américains, Européens, Russes et Chinois appréhendent bien évidemment en fonction de leurs positions et de leurs parts de marché respectives. C’est du reste ce dont le président iranien ultra-nationaliste, Mahmoud Ahmadinejad, n’a de cesse de jouer.
Après la « main tendue », les sanctions bilatérales
A l’occasion de la visite de son homologue français, Nicolas Sarkozy, fin mars 2010, le président américain, Barack Obama a réaffirmé sa détermination vis-à-vis de Téhéran, sinon sa volonté de tordre le bras qui a dédaigné la main tendue à son arrivée au pouvoir en 2009. Une fois de plus, le président Obama espère obtenir de Téhéran la réponse que l’agence de surveillance atomique, l’AIEA, attend depuis octobre 2009 et son offre faite à l’Iran de sous-traiter à l’extérieur l’enrichissement de l’uranium nécessaire au fonctionnement de la centrale de recherche médicale de Téhéran. Une proposition internationale assortie d’une menace de nouvelles sanctions et d’un ultimatum qui est arrivé à terme en décembre dernier, sans le moindre effet.
En février dernier, la présidence française du Conseil de sécurité avait laissé espérer un resserrement des rangs favorables aux sanctions sur l’Iran. Mais finalement, les Etats-Unis auront dû prendre seuls et à titre bilatéral des sanctions économiques contre une poignée d’entreprises iraniennes et contre leurs chefs suspects de relations avec la garde prétorienne du régime. Ainsi le Trésor américain va-t-il geler les avoirs du général iranien, Rostam Qasemi, qui est aussi le chef d'une entreprise liée à l'unité du génie civil des Gardiens de la Révolution. Celle-ci opère dans le secteur très rémunérateur de la construction des routes, des tunnels, des systèmes d'adduction d'eau, mais aussi bien sûr dans celui des oléoducs.
Fenêtre de tir occidental, résolution pacifique chinoise
Téhéran avait répondu par une provocation de plus aux mesures du Trésor américain, en annonçant notamment le lancement d’une production d’uranium enrichi à 20%. En même temps, l’Iran s’est targué de pouvoir parvenir à un niveau militaire d’enrichissement tout en réaffirmant qu’il n’a pas besoin de « La » bombe pour se défendre. En mai prochain, c’est le Liban qui présidera le Conseil de sécurité aussi Washington estime qu’il faut profiter de la présidence du Japon, l’un des Etats les plus opposés à la prolifération nucléaire en avril et considérer les semaines à venir comme « une fenêtre de tir ». Les 12 et 13 avril prochains, les esprits onusiens, y compris chinois, seront en tout cas occupés avec la conférence de révision du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).
Côté occidental, l’heure est à nouveau au branle-bas et de son côté, Téhéran a délégué le 1er avril 2010 à Pékin son négociateur en chef du dossier nucléaire, Saïd Jalili. Cette visite a été l’occasion pour la diplomatie chinoise de se réaffirmer en faveur d’une « résolution pacifique ». « Nous avons toujours poussé pour une solution pacifique et nous continuerons de pousser en ce sens » indique la Chine dont les Etats-Unis s’étaient félicité la veille d’une promesse de « négociations sérieuses » à l'ONU où le dossier du nucléaire Iranien sera dans les prochains jours à nouveau sur la table du groupe des Six (les Etats-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne).
En faisant savoir le 1er avril qu’elle acceptait de prendre part à des pourparlers avec les pays occidentaux sur une nouvelle série de sanctions contre l'Iran, la Chine a suscité une envolée de déclarations occidentales plus optimistes les unes que les autres. Pour autant, la profondeur de la discussion n’augure en rien de son résultat. D’autant que celui-ci se joue ailleurs, sur le terrain énergétique des ressources convoitées de l’Iran. Mais aussi sur le terrain politico-idéologique du leadership mondial, comme l’explique par exemple le chercheur Clément Therme. Et pour sa part, le président chinois Hu Jintao sera en personne à Washington pour donner sa version de nouvelle grande puissance au sommet international sur la sécurité de la mi-avril.
Chine et BRIC pour un monde multipolaire
Hu Jintao poursuivra sa tournée américaine au Brésil pour le deuxième sommet des grands pays émergents, les fameux BRIC : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine justement. Un moment important, dans la bataille des BRIC pour un monde où l’autorité serait multipolaire, après la première rencontre de Hu Jintao avec l’actuel « maître du monde », ou supposé tel, le président des Etats-Unis d’Amérique Barack Obama. A titre purement bilatéral, Pékin reproche à Washington un peu trop d’empathie pour les Tibétains et autre Ouïghours, mais aussi accessoirement, l’annonce en janvier d’une vente de 6,4 milliards de dollars d’armement américain à Taiwan. De son côté, Washington accuse Pékin de « manipuler la monnaie chinoise », le yuan en maintenant son cours au plus bas pour favoriser ses exportations.
La Chine se rangerait aujourd’hui au troisième rang des puissances économiques de la planète, derrière le Japon et les Etats-Unis dont elle est aussi un créancier important. Pour Washington, le soutien de Pékin est crucial, en particulier sur ce dossier nucléaire iranien comme sur celui de la prolifération atomique nord-coréenne. Et cela d’autant plus que pour éviter d’en arriver à la guerre comme Israël en agite régulièrement la menace, et à défaut de sanctions coercitives, les Etats-Unis, et avec eux les Occidentaux ont besoin d’une unanimité au moins de façade à l’ONU pour sermonner l’Iran. C’est en retour un argument pour la Chine dans la perspective des discussions de haut niveau stratégiques et économiques avec les Etats-Unis qui doit se tenir à Pékin fin mai.
Pressions et parts de marché
Le niveau des relations sino-iraniennes est bien sûr inversement proportionnel à celui des pressions occidentales. En 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l'Iran avec 21,2 milliards de dollars d'échanges contre 14,4 milliards seulement trois ans plus tôt. Parties de zéro pendant la Révolution iranienne, les importations iraniennes de Chine ont gonflé de 190% jusqu’à 8 milliards de dollars entre 2004 et 2007 et les exportations de 206% pour atteindre 12,1 milliards de dollars. Autre BRIC, la Russie nourrit aussi des préoccupations énergétiques à l’égard de l’Iran où elle soutient la mise en exploitation dans les mois qui viennent de la centrale nucléaire de Bouchehr. Un investissement que Moscou refuse de remettre en cause, sanctions ou pas.
Rasséréné par l’abandon américain du projet d’installation d’une rampe de missiles dans son arrière-cour d’Europe de l’Est, Moscou est aussi actuellement dans de bonnes dispositions officielles à l’égard de Washington, en attendant la signature le 8 avril prochain, à Prague du nouveau traité de désarmement nucléaire russo-américain START, par les présidents russe Dmitri Medvedev et américain Barack Obama. Mais pour le reste, la Russie se déclare « pour la poursuite du dialogue avec Téhéran », même si « en l'absence de progrès visible, Moscou n'exclut pas la possibilité d'exercer des pressions supplémentaires en ayant recours à des sanctions ». Et pour garantir l’unanimité en faveur de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran, au Conseil de sécurité, mais aussi à l’Assemblée générale de l’ONU, il faudra encore convaincre d’autres BRIC comme le Chili et des voisins de l’Iran comme la Turquie.
« Nous pensons que les sanctions ne sont pas la bonne voie et que le meilleur moyen c'est la diplomatie » répète le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan. C’est aussi l’avis du président du Brésil, Lula da Sylva qui vient d’achever une première visite historique en « Terres saintes » et qui est attendu en Iran en mai prochain. Une vision du monde idoine du point de vue chinois et sans nul doute un argument de poids dans la conquête de marchés énergétiques où se joue l’avenir économique de l’Occident.