A Mawach goht, l’un des vieux quartiers pahstouns –le groupe ethnique dont sont issus les talibans- de Baldia Town de petites maisons basses sont alignées le long de la rue principale. Une mosquée inachevée ne se distingue du reste du paysage que par les haut-parleurs qui s’échappent du toit. Dans ce décor misérable, on rechigne à évoquer les talibans, d’autant que la tradition oblige à l’hospitalité. Ali, un habitant de Mawach goht explique à demi-mots qu’ici, « ces derniers mois il y a eu des arrivées. De la zone tribale de Bajaur et d’autres districts dans lesquels l’armée a lancé des opérations ». Mais il est impossible de distinguer les talibans du reste de la population.
Karachi, qui abrite plus de 16 millions de personnes, garantit l’anonymat à ses habitants. Raja Rafiq, un résident de Baldia Town, est encore étonné de savoir que ses voisins étaient des combattants islamistes. La maison adjacente à la sienne a été entièrement soufflée au mois de janvier lorsque des apprentis kamikazes se sont faits sauter accidentellement en manipulant leurs explosifs. « Mes voisins étaient installés ici en famille. Ils gagnaient leur vie en vendant de vieux vêtements dans la rue. En fait ils vivaient comme tout le monde. Ils étaient religieux, ils allaient prier mais ils n’étaient pas fanatiques », souligne ce père de famille en désignant du regard les tas de gravats amoncelés derrière le portail en fer. Avec près de 3 millions de pachtouns, Karachi est la plus grande ville pachtoune du monde. Les combattants islamistes qui viennent se réfugier ici font profil bas et se fondent dans la population locale.
C’est le cas de Samiullah, un combattant taliban du Sud-Waziristan qui est arrivé il y a un mois. Avec sa barbe noire, ses sandales et son shalwar kamiz –le vêtement traditionnel pakistanais-, rien ne permet de le différencier du reste de la population locale. « On vient ici pour régler des affaires, se faire soigner ou pour se reposer. Dans nos régions, on n’a pas la tranquillité qu’on trouve ici. Souvent on vient un mois ou plus. On est discret et la plupart d’entre nous habitent chez des proches. C’est un lieu de repos. On n’a pas l’intention de mener des opérations violentes à Karachi ».
Les talibans sont soutenus financièrement
Dans son bureau du centre-ville, Raja Umer Khattab, qui dirige l’unité d’enquête spéciale de la police -autrement dit la branche du contre-terrorisme-, se félicite des progrès accomplis par les forces de sécurité pour lutter contre les talibans. « Certains d’entre eux sont arrivés avec la vague des personnes déplacées après les opérations militaires. Mais aujourd’hui grâce à nos actions, on a stoppé le flux. On a aussi mis fin à leurs activités illégales : kidnappings contre rançon et vols de voiture qui leur permettaient de gagner de l’argent. Aujourd’hui ils sont sous contrôle ». Un optimisme que ne partage pas l’analyste Tauseef Ahmed Khan : « Karachi est l’endroit le plus sûr pour tout le monde. En fait les services de police et de renseignement ne fonctionnent pas, c’est donc très facile pour n’importe qui de se cacher ici. Karachi est un haut lieu du trafic de drogue, du trafic d’armes. On fait ce qu’on veut ici. Par ailleurs Karachi est aussi un centre financier très important pour les talibans. Des madrasas (établissement d'enseignement religieux), des marchands, des hommes puissants ou même la classe moyenne d’obédiance salafiste soutiennent les talibans financièrement ».
La mégalopole abrite aussi des écoles coraniques parmi les plus radicales du pays. Des madrasas dont les valeurs ressemblent parfois à celles des talibans. Même la Jamia Binoria, une madrasa qui accueille 5 000 étudiants et se présente comme une école modèle - on y donne des cours d’informatique- le discours est parfois proche de celui des groupes d’oppositions armés. Le mufti Mohamad Naïm, responsable de cette madrasa en revendique la neutralité, même si, sur le site web, des textes n’hésitent pas à promouvoir les attentats-suicide. L’homme ne fait pas non plus grand mystère de ce qu’il pense de ce type d’opérations : « Bien sûr les attaques aériennes américaines sur les zones tribales radicalisent les gens. Mais quand on voit mourir des membres de sa famille sous les bombardements, on n’a pas d’autre choix que de devenir kamikaze. Comment voulez-vous survivre après ça ? Pour ces gens-là, c’est la seule manière de survivre à la mort de leur proche ».