L’Ukraine face à la Russie et l’Europe

Quelques jours après l’élection présidentielle en Ukraine, plusieurs questions restent en suspens. A commencer par les intentions du Premier ministre Ioulia Timochenko quant à son maintien au poste et une éventuelle contestation de sa défaite électorale devant les tribunaux, pour finir par les interrogations sur l’avenir des relations entre l’Ukraine, la Russie et l’Union européenne.

Les dirigeants de nombreux pays ont envoyé leurs messages de félicitations à Viktor Ianoukovitch après l’annonce de résultats officiels et le satisfecit délivré au déroulement du scrutin présidentiel du 7 février dernier par les observateurs internationaux de l’OSCE. Toutefois, il est légitime de se demander quel sera l’impact de cette élection sur le relations entre l’Ukraine, la Russie et l’Europe, l’heureux élu étant considéré à l’Occident comme un homme politique résolument prorusse, à la différence du précédent chef de l’Etat ukrainien, Viktor Iouchtchenko, et du Premier ministre sortant, Ioulia Timochenko, affichant tous les deux des ambitions européennes et des sympathies pro-occidentales.

L’UE en attente discrète

Pour l’instant, l’impact est nul, ou en tout cas imperceptible. Pour l’Europe, il est tout simplement trop tôt pour se prononcer sur les intentions réelles de la nouvelle équipe au pouvoir en Ukraine – équipe qui n’est pas encore vraiment installée – et en particulier dans le domaine des relations de l’Ukraine avec la Russie et sur les éventuelles conséquences de celles-ci sur la coopération avec l’UE.

L’Union européenne semble attendre discrètement pour voir comment Viktor Ianoukovitch met en œuvre ses promesses électorales d’améliorer les relations de son pays avec la Russie, tout en gardant le cap sur l’Europe. En revanche, les Russes s’activent beaucoup sur place et essayent d’exercer une très forte pression sur le président élu pour qu’il se démarque très rapidement et très nettement de la politique de son prédécesseur, Viktor Iouchtchenko, qui voulait une Ukraine vraiment indépendante de Moscou et qui posait beaucoup de problèmes à la Russie.

Les observateurs séjournant à Kiev dans la période de la campagne électorale et du scrutin lui-même pouvaient avoir l’impression d’une certaine frénésie russe. Son objectif à peine dissimulé était de bien préparer l’entrée en scène de Viktor Ianoukovitch comme un grand ami de la Russie. Tellement ami que n’ayant, en fin de compte, presque aucune marge de manœuvre pour s’opposer aux suggestions, toujours amicales, du Kremlin. Il s’agissait de le serrer tout de suite tellement fort dans ses bras pour qu’il ne puisse pas trop bouger.

Conseillers russes

Interrogé par RFI, Taras Maroussik, chef du Département de la politique linguistique au secrétariat du président sortant Viktor Iouchtchenko, affirme que lors de la campagne électorale en Ukraine, les conseillers russes étaient présents pratiquement dans tous les médias, en particulier dans les radios. Certains « visiteurs » russes faisaient du lobbying et de la publicité en faveur de Viktor Ianoukovitch de manière tellement envahissante que l’on pouvait avoir l’impression qu’ils voulaient mettre l’opinion publique et le candidat lui-même devant les faits accomplis : on voit bien, il n’y a pas de plus grands amis de Viktor Ianoukovitch que les Russes.

Par exemple, le jour du deuxième tour, tous les journalistes présents au quartier général d’Ioulia Timochenko ont pu voir – et surtout entendre - un député russe Sergueï Markov qui ne perdait aucune occasion d’expliquer à qui voulait entendre les raisons de l’admiration de la Russie pour le leader du Parti des Régions. Il allait même jusqu’à justifier le passé peu glorieux de Viktor Ianoukovitch – qui, dans sa jeunesse, a été condamné à trois ans de prison pour violences – en demandant avec beaucoup d’insistance s’il n’était pas compréhensible qu’un jeune homme orphelin dans une pauvre région minière ait été entré en conflit avec la loi. « Et vous-même – interrogeait-il ses interlocuteurs en les regardant droit dans les yeux – vous n’auriez pas d’ennuis avec la justice si vous étiez dans sa situation ? ». Inutile de nier, Sergueï Markov connaît toutes vos faiblesses.

Priorité : économie

C’est dire l’ambiance à Kiev, où ce ne sont pas tellement des « prorusses » qui donnent le ton, mais carrément les Russes eux-mêmes, qui essayent de marquer leur territoire dans le nouveau contexte politique ukrainien. Au point peut-être de mettre Viktor Ianoukovitch dans une situation un peu inconfortable. Mais tel est sans doute le but du jeu. Car, à entendre les membres de son équipe expliquer leur vision de l’avenir du pays, on n’a pas forcément l’impression d’avoir en face de soi les gens qui prennent la Russie pour modèle.

Leur grande priorité est évidemment le redressement économique de l’Ukraine. Pas étonnant, si l’on songe à la chute de son PIB de 15% et la perte de la valeur de sa monnaie de 60% en un an. Pour s’en sortir, ils semblent passionnés par les résultats obtenus en Pologne par Leszek Balcerowicz et sa thérapie de choc. Rien à voir avec la stratégie russe de s’appuyer toujours sur l’exploitation de matières premières, sans vraiment moderniser l’économie. Rien à voir non plus avec le système politique russe. L’Ukraine est déjà une véritable démocratie avec une vraie opinion publique, et les dirigeants doivent réellement compter avec elle. D’autant plus que – si Ianoukovytch prend finalement le pouvoir – il sera un président minoritaire, qui n’aura pas réussi à franchir la barre de 50% des voix. Le nouveau président ne voudra certainement pas – et, dans un certain sens, il ne pourra pas – devenir un dictateur vassal de Moscou, à l’instar d’un Aleksander Loukachenko.

La ligne rouge

Son attitude « prorusse » ne consiste donc pas à imiter la Russie sur le plan intérieur. En revanche, il sera sans aucun doute plus enclin à nouer des liens politiques avec Moscou que ses prédécesseurs. L’Europe n’a a priori pas d’intérêt à s’y opposer ; elle pourrait même en attendre une certaine stabilisation de l’Ukraine. Toutefois, il y a des éléments des relations dans le cadre du triangle Ukraine-UE-Russie qui risquent de devenir très conflictuels.

Pour l’Europe, le problème est simple : est-ce qu’elle veut et est-ce qu’elle peut permettre que l’Ukraine réintègre pleinement la zone d’influence russe ? Et est-ce qu’elle a les moyens de s’y opposer ?

Une des questions-tests concerne évidemment le gaz. Est-ce que Ianoukovytch va respecter la déclaration commune, signée il y a un an entre l’Ukraine et l’UE sur la modernisation du réseau des gazoducs ukrainiens avec des financements occidentaux – projet qui irrite Moscou au plus haut degré, car sa mise en œuvre rendrait les deux gazoducs en cours de construction par le Russes – Northstream et Southstream – purement et simplement non rentables. Du point de vue européen, il n’y a pas de raison de s’opposer à une meilleure entente et coopération entre l’Ukraine et la Russie. La ligne rouge à ne pas franchir, c’est de voir l’Ukraine devenir directement dépendante de la Russie. Or les velléités russes en ce sens ne sont que trop visibles. A l’Europe d’en trouver une parade.

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