Helmand : une opération pour rien ?

En Afghanistan, les forces de la coalition sont en train de préparer une offensive qu'elles annoncent comme majeure dans la province du Helmand. C'est l'un des principaux bastions des talibans dans le sud du pays. Sur le terrain, près de Marjah, il y a déjà eu des accrochages entre les insurgés et les marines américains, mais l’opération militaire n'a pas encore commencé. Or nous en connaissons quasiment tous les détails et les objectifs. Quelle est la stratégie de l’Otan dans le Helmand ? Pourquoi tant de déploiement de forces ? Eléments de réponse.

Le Capitaine Abraham Sipe, l'un des porte-paroles de l'Otan à Kaboul a confirmé à RFI ce mercredi 10 février que l’opération planifiée de longue date dans le Helmand n’avait pas encore débuté. Pourtant dans les jours qui viennent, des milliers de militaires américains, britanniques et afghans vont tenter de s’imposer en terrain hostile afin concrètement d’appliquer la nouvelle stratégie de Barack Obama pour l’Afghanistan, annoncée le 27 mars 2009. « Ne pas s’implanter en Afghanistan mais défaire al-Qaïda et ses alliés talibans au Pakistan et en Afghanistan », voilà l’ambition américaine présentée ce jour-là.  

Après ce discours, Barack Obama prendra neuf mois avant d’évaluer précisément les besoins en hommes et en matériels destinés à battre l’ennemi ainsi désigné. Ce n'est que le 1er décembre 2009 que le président américain annonce un renfort de trente mille hommes supplémentaires et précise les objectifs de sa stratégie dite de contre-insurrection. C’est dans cet environnement stratégique qu’il faut envisager l’opération du Helmand. Ce n’est pas la première fois que les forces de la coalition ciblent cette région du sud de l’Afghanistan. Chaque année, en fait, l’Otan tente d’y regagner du terrain pour « imposer la sécurité et permettre au gouvernement afghan d’établir son autorité », explique le Capitaine Abraham Sipe, porte-parole de l’Otan à Kaboul : « Marjah est l’un des derniers bastions talibans dans les zones du Helmand où nous menons des opérations. Il est donc crucial pour la coalition de ramener l’autorité du gouvernement afghan dans cette région. Notre objectif, c’est d’apporter la paix et la sécurité aux populations qui vivent là-bas ».

L'objectif est donc de sécuriser une toute petite partie du Helmand afin de proposer aux populations locales un modèle de développement sous l'autorité du gouvernement afghan. Comme l’affirment les Américains et leurs alliés il s’agit de gagner « les cœurs et les esprits », selon la célèbre formule du Maréchal Lyautey, précurseur de la contre-insurrection.

Mais alors pourquoi l’Otan a-t-elle annoncé en amont son offensive de Marjah ?

Il faut comprendre que les forces de la coalition ont rarement l’initiative sur le terrain.
« Que les militaires occidentaux claironnent leurs intentions ou pas », précise Gilles Dorronsoro, chercheur à la fondation Carnegie pour la paix, « les talibans savent de toute façon quand leur ennemi passera à l’attaque ».

Pour ce chercheur : mieux vaut éviter de faire saigner les cœurs pour les gagner à sa cause !

La stratégie occidentale dans le Helmand soulève deux autres questions :

Les opérations militaires d’envergure sont-elles efficaces ? Et à quelle logique répondent-elles ?

Pour comprendre, il faut savoir que depuis le début de la guerre en 2001, le Helmand est la région qui a reçu le plus d'aide internationale. C'est aussi la région où il y a eu le plus de combats et donc, le plus de soldats occidentaux tués.  
En 2006, les Britanniques sont responsables de la sécurité dans la province. Au mois de juillet, ils décident de lancer la première opération d'envergure dans cette zone. « Première opération et premier désastre », constate Gilles Dorronsoro, chercheur à la fondation Carnegie pour la paix :

« Les Britanniques sont arrivés avec un plan initial qui était simplement de contrôler les deux points de concentration de population, donc un plan plutôt raisonnable. Mais le général britannique, qui était en charge à l’époque, a décidé tout d’un coup de nettoyer toute la province de l’Helmand de tous ces combattants. Ca a été un désastre. Et ensuite, tous les ans, vous avez une nouvelle offensive, c’est-à-dire que la seule chose qui explique ce surinvestissement dans l’Helmand, c’est l’échec initial qui n’a jamais été compensé par une victoire. C’est en quelque sorte ce que nous faisons quand on répare une voiture d’occasion et qu’on se dit "je vais quand même la réparer une dernière fois parce que j’ai quand même mis tellement d’argent dans les réparations que ça me fait de la peine de la revendre ou de l’abandonner". Les investissements futurs sont conditionnés par des investissements passés qui n’ont pas fonctionné ».

Depuis 2006, les forces de la coalition détiennent des positions dans le Helmand, surtout au nord de la province. Mais elles n’ont pas réussi à stabiliser la région.
Les militaires occidentaux ont désormais une ambition : y établir des bases solides pour, à terme, repousser les insurgés plus à l’est et circonscrire l'insurrection talibane dans la province de Kandahar. Voilà pourquoi l'Otan lance régulièrement des défis aux talibans dans le Helmand.

Les opérations militaires dans le Helmand sont, pour le moment, loin d’avoir atteints les objectifs fixés. Pourtant, les militaires occidentaux continuent d’affirmer que la stratégie poursuivie sera payante, et ce, dans l’optique d’un désengagement qui doit débuter en 2011. L’idée est de frapper fort pour affaiblir définitivement l’ennemi avant d’opérer les premiers retraits. C’est ce qu’à annoncé Barack Obama, le 1er décembre 2009.

Seulement, en août 2010, il y aura près de 100 000 soldats américains en Afghanistan, 150 000 en tout. Vingt-et-un an après le retrait de l’Armée rouge, Il y aura cette année plus de soldats étrangers en Afghanistan qu’à l’époque des Soviétiques. Gilles Dorronsoro estime que Moscou avait mis en place une véritable stratégie de désengagement alors que « les occidentaux pensent toujours qu’ils peuvent encore pacifier le pays. Par rapport aux Soviétiques, on n’a pas de stratégie de désengagement. Les Soviétiques à partir de 85-86 ont mis en place une vraie stratégie de désengagement qui est une stratégie de diminution du niveau de la violence, une stratégie plus conservatrice centrée sur les villes, etc. Et nous, on ne fait pas du tout ça. Nous, on est encore dans l’illusion qu’on va pouvoir pacifier en quelque sorte l’Afghanistan, d’où ces grandes offensives dans l’Helmand qui sont irrationnelles parce que l’Helmand n’a pas de valeur stratégique, en tout cas pas de valeur stratégique qui justifierait d’y envoyer 20 ou 25 000 hommes ».
 
Allons-nous assister dans les jours qui viennent à une autre opération pour rien dans le Helmand ? Peut-être ! En tous cas, démonstration est faite depuis longtemps qu’il n'y a pas de solution militaire en Afghanistan. Que seule une véritable négociation avec l'ennemi -dont les modalités restent à déterminer- permettra aux Afghans et aux Occidentaux de se sortir de ce bourbier.

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