Juger les pirates, un pari risqué pour le Kenya

Alors qu’une vingtaine de pirates sont jugés dans les pays occidentaux, dont neuf en France, c’est le Kenya qui accueille la majorité des affaires, -plus d’une centaine-, en vertu d’un accord passé avec les Etats-Unis, l’UE et la Grande-Bretagne il y a un an. Si le pays reçoit un soutien financier important de la communauté internationale, l’inquiétude demeure sur les répercussions que ces procès peuvent avoir, notamment en termes de sécurité pour le pays. 

De notre correspondante à Mombasa, Stéphanie Braquehais

Il est 9h. La chaleur qui règne dans la salle d’audience numéro 11 du palais de justice de Mombasa est à peine atténuée par le ventilateur. A la barre des prévenus, sept Somaliens, au physique particulièrement juvénile pour certains, accusés d’avoir tenté d’attaquer le 11 février 2009 le Polaris, un navire marchand battant pavillon des îles Marshall, dont l’équipage a réussi à empêcher l’assaut en repoussant leur échelle. Ils ont ensuite été arrêtés par un navire de guerre américain, le Vella Gulf, qui se dirigeait vers les lieux après avoir reçu un signal de détresse. Quatre AK47, un pistolet, un lance-roquettes et une centaine de munitions ont été saisis, armes qui sont ce jour-là étalées sur le sol.

L’audience prend d’emblée du retard, lorsque l’accusation annonce que ses deux témoins, un officier de police et un expert balistique ne sont pas arrivés.

«Vous leur avez dit que la justice fonctionne aussi le matin ? S’ils veulent mériter leur salaire, ils feraient bien de se présenter… », commente le juge Timothy Gesora d’un ton sarcastique.

10h30, le procès reprend. Le procureur entame son interrogatoire d’une voix lasse, tandis que tout le monde prend des notes fébrilement. Ici, pas de machines à écrire, ni sténo, le juge lui-même se contente d’un stylo et d’un papier. Soudain, la salle sort de sa torpeur, lorsque l’avocat de la défense, Francis Kadima pose ses questions d’une voix de stentor qui déstabilisent le témoin et font esquisser de temps à autre des sourires amusés au juge. Sa ligne de défense est que ses clients étaient en train de pêcher, détenant des armes pour leur autodéfense. Une version qu’a parfaitement intériorisée Abshir Salat, 29 ans, un des suspects qui parvient à nous glisser quelques mots lorsque l’audience est suspendue.

« En Somalie, tout le monde est armé. Nous avons été arrêtés par erreur. Ils pensent qu’on est des pirates, mais nous n’avons commis aucun crime.
-Mais ces armes que l’on voit là, c’est parce que l’eau est dangereuse ?
-C’est pour se protéger. Nous voulons que la vérité soit rétablie dans cette cour de justice. On est détenu par la force ici. On est totalement impuissant et on ne peut pas choisir de retourner dans notre pays ou de rester ici ».

Une justice au bilan catastrophique

Leur avocat Francis Kadima n’en est pas à sa première affaire de pirates. Il en a défendu plusieurs dizaines, sans être payé, insiste-t-il. Il fustige l’accord signé par le Kenya, estimant que son pays sert de « décharge » pour les pays occidentaux, qui rechignent à poursuivre les pirates sur leur territoire, conscients des risques et de la difficulté d’expliquer aux contribuables que ces procès fort coûteux ne poursuivent que les hommes de main, et non les véritables organisateurs.

« Il y a un an, le rapporteur spécial des Nations unies, Philip Alston, dressait un bilan catastrophique de la justice au Kenya, pointant du doigt la corruption et les nombreuses exécutions extrajudiciaires de la police. Croyez-vous réellement que la situation a changé depuis ? Il y a près de 100 000 affaires en attente devant les tribunaux, et nos prisons accueillent déjà plus du double de leur capacité !».

Des arguments relativisés par Mark Topping, officier de la marine britannique, détaché à Mombasa pour conseiller l’accusation et assister les navires de guerre dans la procédure : 

« Bien sûr que nous rencontrons des défis. Les magistrats par exemple, ainsi que les procureurs ne sont pas très familiers avec l’univers des navires. Maintenant ils commencent à l’être, parce qu’ils ont mené plusieurs affaires. Nous n’avons jamais prétendu que c’était la solution miracle. Mais tout le monde a son rôle à jouer.... Il faut bien protéger les navires qui apportent de la nourriture, et permettre aux nations de continuer à commercer ».

Les répercussions politiques de ces procès inquiètent

Si le Kenya ne supporte guère le coût financier de ces procès, le bureau des Nations unies contre la drogue et le crime disposant d’un budget de 7 millions de dollars pour former la police, l’accusation, et payer les trajets fort coûteux des différents témoins, (capitaine et membres d’équipage souvent répartis aux quatre coins du monde), l’inquiétude demeure sur les répercussions politiques et sécuritaires de ces procès.

« Je ne vois pas pourquoi le gouvernement devrait mettre le pays en danger. On se fait des ennemis, estime Sheikh Mohamed Dor, député et secrétaire général du conseil des imams à Mombasa. Les Somaliens sont très nombreux au Kenya. La frontière est poreuse, nous n’avons pas les moyens de surveiller nos côtes... Nous craignons des représailles, notamment par les milices radicales al-Shebab ».

Pour le moment, le Kenya est le seul pays de la région à juger les pirates, les Seychelles ayant également signé un accord, mais selon certaines sources, sont réticentes à accueillir des procès qui pourraient ternir l’image touristique du pays. 

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