Karzai défend l’option de la main tendue aux talibans

Près de 70 pays et organisations se sont rassemblés ce jeudi 28 janvier 2010 à Londres pour évoquer l'avenir de l'Afghanistan. C'est un rendez-vous régulier depuis la conférence de Bonn consécutive à la chute du régime taliban en 2001, mais cette fois, le président Karzai avait pour ambition de faire valider par la communauté internationale la politique de « la main tendue » aux talibans qui renonceraient au combat. Une option en faveur de la « réconciliation » qui a rencontré l’approbation des principaux partenaires du gouvernement Karzai.

L’idée de monnayer le retour des insurgés à la vie civile en leur fournissant des moyens de subsistance n’est pas nouvelle, mais c’est la première fois que la communauté internationale va aussi loin dans son appui à cette politique, prévoyant même un fond spécial, déjà abondé à hauteur de 140 millions de dollars. Cependant, cette stratégie suscite les plus vives inquiétudes parmi les Afghans ayant déjà eu l’occasion de se frotter par le passé au régime des talibans et aux membres appartenant de près ou de loin à ce mouvement, il est vrai, difficile à cerner.

Toute une partie de la société civile afghane, en particulier les femmes, craignent un retour progressif à l’ordre obscurantiste prôné par cette mouvance, indépendamment des alliances de circonstance passées avec les représentants du réseau d’al-Qaïda.

Pour certains, la distinction faite entre les terroristes d'un côté, et de l'autre une frange de talibans dits « modérés » est factice. C'est le point de vue de Shoukria Haidar, présidente de Negar, une association de soutien aux femmes afghanes. Alors pourquoi officialiser une démarche à l'égard d'un mouvement responsable des pires atrocités durant son passage au pouvoir entre 1996 et 2001 ? C'est aussi la question que se posent certains observateurs français. Notamment la députée Françoise Hostalier, qui partage la position de Shoukria Haidar et se dit très inquiète, face à ce qui s’est passé à Londres.

La députée UMP, Françoise Hostalier recevait mercredi 27 janvier à l'Assemblée nationale française l'activiste Shoukria Haidar, pour donner un écho à cette réaction de rejet d'une partie de la population afghane, comme en témoigne le texte d’une résolution adopté par 200 organisations afghanes à l’initiative de Negar.

Un constat d’échec qui ne dit pas son nom

Pour mener cette politique, le président Karzai a besoin d'argent, c'est aussi cela l'enjeu de la conférence de Londres. Hamid Karzai, venu dans une position de faiblesse avec la moitié de son gouvernement – puisque les parlementaires n’ont pas accepté la totalité des membres proposés pour constituer son nouveau cabinet – repart affublé d’une crédibilité retrouvée, à tout le moins aux yeux de ses partenaires occidentaux. Il n’empêche, l’option de la réinsertion à marche forcée des talibans inquiète. Une fois l’argent en poche, qu’est ce qui pourra contraindre les talibans dit « réinsérés » de rester du bon côté ? C’est l’inquiétude exprimée par Shoukria Haidar, qui estime que des leçons devraient être tirées de l’échec de la campagne anti-narcotique.

C’est un constat partagé par nombre d’acteurs du développement en Afghanistan : l’orientation des financements vers les zones à problème, où se pratique notamment la culture de l’opium, a creusé le déséquilibre entre les bénéficiaires de cette aide et les autres, restés à l’écart des circuits de distribution de l’aide, parce que vivant dans des contrées plus calmes et isolées.

Risques de guerre civile

La distribution de terres aux talibans pose également un autre problème, que soulève la député Françoise Hostalier : « On va les payer, leur donner des terres et les sécuriser, mais où va-t-on les installer ? » et de citer une possible dérive colonisatrice en faveur des clans pashtouns auxquels appartient le président. D’où les craintes des populations du Nord, de voir arriver dans leurs régions – majoritairement peuplées de Tadjiks et d’Ouzbeks – des membres des tribus pashtounes, implantées avec la bénédiction du pouvoir de Kaboul. La manœuvre permettrait ainsi de remonter le handicap électoral observé dans ces régions par le clan gouvernemental. L’opinion est d’autant plus sensible à la question, que des législatives sont prévues au mois de septembre 2010.

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