La vie politique se déroule au rythme des crises en Afghanistan. Après une réélection entachée de fraudes, le président Karzaï se heurte au refus des députés d’entériner purement et simplement la liste de ses ministres. Une deuxième proposition a été faite au parlement samedi 9 janvier 2010. Ce lundi 11 janvier, six des nouveaux ministres sélectionnés ont été entendus par les députés, les autres devraient l’être d’ici la fin de la semaine, mais il n’y a aucune garantie que le président Karzaï parvienne à former son équipe à la suite de ces nouvelles auditions. A en croire l’analyste politique afghan Haroun Mir, l’absentéisme observé ce lundi au parlement serait un signe du désintérêt des parlementaires pour ces ministres potentiels, peu réputés pour leurs expériences passés.
Une certaine interprétation de la Constitution
Au-delà de la gêne provoquée par cette nouvelle crise politique –à quelques semaines de la tenue d’une conférence internationale sur l’Afghanistan à Londres- les événements récents mettent en lumière un certain flou constitutionnel. Nombre d’analystes, évoquent en effet le vote de confiance des députés, ce que la Constitution n’établit pas clairement. Le juriste Kacem Fazelli estime, pour sa part, que l’esprit de la Constitution n’est pas respecté : « Le régime constitutionnel est un régime présidentiel. Dans ce cadre, la chambre des représentants doit examiner les conditions que doivent remplir les candidats à la fonction ministérielle pour être apte à occuper leurs fonctions, mais cela a toujours tourné à une sorte de vote de confiance, ce qui suppose qu’ils soient de nouveau soumis à la sanction du Parlement s’ils ne s’acquittent pas correctement de leur tâche. C’est ce qui a fait que certains ministres –par le passé- ont été déchargés de leur mission ». Dans ce cas-là, il s’agit d’une surveillance d’ordre politique exercée par le Parlement sur l’action du gouvernement, ce n’est pas à priori ce que prévoyait le cadre constitutionnel afghan. Néanmoins, l’usage persiste.
Tractations pour une sortie de crise
Résultat : les tractations se multiplient entre la présidence et le Parlement pour arriver à un modus vivendi, pour le meilleur et pour le pire. Dans sa deuxième proposition, le président Karzaï serait allé chercher d’illustres inconnus, pourvu que l’ensemble reflète la mosaïque ethnique du pays, et que les intérêts des chefs de guerre et des différents pouvoirs locaux soient représentés. Un retour aux vieilles méthodes clientélistes ? Voici ce qu’en dit le juriste Kacem Fazelli :
L’absence de parti politique en Afghanistan, obligerait donc le président à sacrifier à ce rituel, afin de satisfaire un maximum de revendications régionales. Haroun Mir note que le président Karzaï n’a rien fait pour éviter à ses ministres les rebuffades des parlementaires, lui-même n’ayant pas pris la peine de présenter aux députés un projet de gouvernement. Le politologue afghan évoque « l’humiliation » vécue par certains ministres potentiels, obligés de présenter aux députés un projet politique sans le moindre soutien du chef de l’état. Haroun Mir souligne que dans ces conditions, certains ministres n’ont pas hésité à « acheter » les voix des parlementaires.
Le juriste Fazelli, tout comme le politologue Haroun Mir expriment des réserves sur un régime présidentiel calqué sur le système américain. A l’avenir, une nouvelle Loya Jirga (conseil des sages et responsables officiels), pourrait être convoquée pour décider de l’opportunité d’amender le texte constitutionnel adopté en 2004, afin notamment de clarifier la répartition des rôles et des responsabilités entre les pouvoirs exécutif et législatif.
De fait, les questions institutionnelles, à commencer par la tenue d’élections législatives, seront l’un des enjeux cruciaux de la prochaine conférence internationale sur l’Afghanistan, à Londres le 28 janvier prochain.