« Dépêchez-vous chers voyageurs, le train va repartir… Au revoir » Les portes du « Gautie » se referment, le train à grande vitesse G79 qui a déjà roulé plus de 8h depuis la capitale chinoise, continue sa route vers sa destination finale : Hong Kong. La gare du nord de Shenzhen est l’avant-dernière station avant la région économique spéciale.
Devant les valises à roulettes, de jeunes cadres, des jeunes ingénieurs sont attirés par les start-up et les laboratoires de recherches des grandes entreprises chinoises. Tencent, Alibaba, Huawei (la téléphonie, le e-commerce) se sont installées ici après la crise de 2008, quand la ville modèle du libéralisme aux caractéristiques chinoises s’est tournée vers la high-tech jusqu’à faire de l’ombre à Hong Kong.
« Je ne pense pas que l’objectif soit de remplacer Hong Kong par Shenzhen, analyse Jian Wang, professeur d’économie à l’université Hong Kong-Shenzhen. Les deux villes vont continuer à coexister dans le futur. L’objectif principal c’est de promouvoir d’autres voies de croissance pour Shenzhen. L’économie de Shenzhen a longtemps été tournée sur les exportations du secteur manufacturier. Aujourd’hui, c’est devenu un centre d’innovation et une place financière. Mais à long terme encore une fois, Shenzhen ne devrait pas complètement remplacer Hong Kong, qui dispose de ses propres avantages ».
Attirer les jeunes talents
En 2018, Shenzhen a dépassé la région administrative spéciale voisine de quelques points de PIB. Mais l’économie ne fait pas tout, il faut aussi attirer les talents. Pour cela, l’université de Hong Kong a depuis trois ans une petite sœur, l’université de Hongkong-Shenzhen, un campus flambant neuf où tous les cours sauf le sport sont donnés en anglais à 5 000 élèves venus du continent, mais aussi du Japon, de Corée du Sud explique Johanna Yang, la chargée de communication de l’institution, qui précise qu’il y a aussi « des Américains, des étudiants du Canada, du Mexique et des Philippines ».
Quant aux Hongkongais, « nous avons des échanges réguliers, il y a actuellement des étudiants de Hong Kong qui suivent des cours d’été ici et tous nos étudiants suivent des formations l’été, des cours sur le campus de Hong Kong », poursuit Johanna Yang. Et pour ce qui est d’une rentrée perturbée à Hong Kong en raison des manifestations, « ce ne sont là que des rumeurs », rétorque la jeune femme, pour qui l’aventure « c’est la stabilité » comme le ressassent CCTV et l’ensemble des médias d’État.
Un message entendu par ce commerçant spécialisé dans l’import-export entre Hong Kong et le continent. Les jeunes protestataires masqués et armés de parapluie perdent leurs temps, dit-il. « Ils veulent la démocratie, mais moi je pense que jusque-là c’est OK. Je suis aussi Hongkongais. Je travaille ici, le gouvernement chinois est attaché à la stabilité. »
Le projet de la grande baie
Des rues éclairées aux néons et sur la façade d’un immeuble décati, les grands caractères : « village de pêcheurs. » C'est au port de Futian, au sud de Shenzhen, que tout a commencé il y a quarante ans. Aujourd’hui on y scotche des milliers de cartons qui partent dans toute la Chine, mais plus à Hong Kong affirment ces livreurs pressés de remplir leurs camionnettes.
« Nous transportons ces cartons un peu partout en Chine, enfin sauf à Hong Kong en ce moment. On a reçu l’ordre de ne rien envoyer dans la région administrative spéciale. Ça vient du siège, et ça fait déjà une semaine. C’est probablement lié à la situation là-bas. On ne sait pas pourquoi, c’est une décision des patrons. »
Face à l’entêtement de manifestants hongkongais hostiles à une intégration économique qui, selon eux, dissimulent une intégration politique, et donc la fin du modèle « un pays deux systèmes », les autorités chinoises ont, elles, décidé de freiner la région administrative rebelle…
Officiellement, le plan de la grande baie - « greater bay area » - lancé l’année dernière vise pourtant à booster une région Hong Kong, Macao, Shenzhen et Canton, qui compte plus d’habitants que la France. Mais pour devenir un pôle d’innovation, l’ouverture économique de Deng Xiaoping ne suffit plus.
Censure plus souple
« La Chine continue de bénéficier des avancées liées à la politique d’ouverture initiée dans les années 1980, précise le professeur Jian Wang. Mais il reste des différences. Et les Chinois aspireront à de nouvelles évolutions dans le futur. Shenzhen est une ville pilote pour le gouvernement chinois. C’est ici que sont testées les réformes. Au départ, l’accent a été mis sur l’aspect économique, comme la réforme du marché financier. Mais si nous voulons devenir un pôle d’innovation, il faudra d’autres changements… Ouvrir l’internet chinois à Facebook et Twitter par exemple. De nombreuses innovations viennent de l’Occident. Comment continuer à innover, si vous ne pouvez pas parler à vos amis ? »
Ouvrir l’internet chinois aux réseaux sociaux occidentaux, dans une ville qui bénéficie déjà d’une certaine tolérance de la part de la censure. Dans les restaurants de Shenzhen, les écrans renvoient des images des manifestations hongkongaises invisibles à Pékin. Si proche, si loin… Si les gratte-ciels de Shenzhen ont aujourd’hui la tête dans les nuages, ceux de Hong Kong, juste en face, ont plus que jamais les pieds dans les gaz lacrymogènes.