RFI : Une messe géante a été célébrée ce dimanche matin à Manille par le pape François. Plus de six millions de fidèles étaient présents, selon les organisateurs. Pourquoi y a-t-il une telle ferveur autour du pape François aux Philippines ?
David Camroux : C’est un pays qui est à 80 % catholique, ce sont des catholiques pratiquants. Il y a déjà eu une ferveur pour tous les papes, mais le pape François a deux spécificités. Il est hispanophone, il vient d’Amérique du Sud. Bien que les Philippines se trouvent en Asie du Sud-Est, culturellement, c’est plutôt un pays de l’Amérique latine.
C’est lié à l’histoire préhispanique des Philippines ?
Voilà, il y a une boutade aux Philippines qui dit « trois siècles dans un couvent et un demi-siècle dans Hollywood », trois siècles de colonisation espagnole et ensuite un demi-siècle de colonisation américaine. Et c’est un pays qui reste profondément latin dans sa façon de vivre. Donc il y a cet aspect-là, et également le fait que le pape François se présente un peu comme le pape des pauvres. Et on est dans un pays où presque 40, 45 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté de deux dollars par jour. Donc les discours du pape François sur les questions au niveau social ont un impact, un retentissement dans ce pays.
C’est un thème qu’il a beaucoup abordé pendant son séjour : la lutte contre la pauvreté. Est-ce que ça a été vraiment un sujet majeur auquel les Philippins ont été sensibles ?
Tout à fait. Et qui était lié aussi aux questions de la corruption, qui a été toujours un problème pour l’Eglise catholique aux Philippines. Mais il s'est un peu confronté, ce qui est nouveau, à l’élite politique et économique du pays. Il était un peu comme un adolescent par rapport à cette élite. Et ça a été très bien perçu par la population en général. La troisième chose, c’est qu’il va sortir une lettre papale sur les questions de l’environnement. Les Philippines sont directement touchées avec le typhon de 2013 et les grands typhons Haiyan et Yolanda d’il y a deux ans. Il a été obligé de raccourcir son voyage à Leyte justement parce qu’un autre typhon arrivait. Donc il parle au peuple de sujets qui sont vraiment les préoccupations des Philippins.
Des sujets pour lesquels les Philippins sont sensibles effectivement. Mais est-ce que le message du pape François a un impact particulier aux Philippines ?
Oui, mais il y a quand même des désaccords avec le président Aquino sur les questions de contraception parce que si le pape François est socialement plutôt à gauche, sur les questions d'éthique, il reste quand même un pape conservateur. Et le président Aquino a défié l’Eglise en souhaitant introduire un programme de contraception universel, de planification familiale. Les Philippines sont l’un des seuls pays qui n'ont pas ce genre de système et où il y a un taux de fécondité sans doute excessif. La moitié des enfants qui naissent sont nés de mères célibataires adolescentes. Il y a un véritable problème au niveau de la contraception. Donc sur certaines questions, il y a quand même des désaccords et ça ne correspond pas tout à fait à ce que souhaitent les Philippins.
On sait quand même qu’aux Philippines, l’Eglise joue un rôle dans la société, mais aussi un rôle politique très important. Elle a participé à la chute du président Marcos en 1986. Est-ce que là encore, avec la venue du pape en personne, l’Eglise peut jouer encore un rôle vraiment politique de changement ?
Le rôle politique de l’Eglise s’est un peu affaibli. Le nombre de catholiques diminue, l’Eglise évangélique et l’Eglise protestante progressent assez rapidement. L’Eglise catholique a soutenu la démocratie formelle, c’est-à-dire les élections libres, la lutte contre la corruption. Et ce qui est intéressant avec le pape François, c’est qu’il aborde les questions de démocratie réelle, de démocratie au niveau socio-économique. Il a confronté les évêques philippins qui sont plutôt assez conservateurs.
Le pape François, peut-il jouer vraiment avec cette arrivée, cette médiatisation, un grand coup contre la corruption, contre les inégalités ?
Je crois que la venue du pape apporte un plus à cette lutte. Les Philippines ont une législation sur ces questions qui est très avancée, mais très souvent, ceux qui sont accusés ne sont jamais condamnés. Et il y a vraiment un problème de justice, de l’application des droits et l’existence véritable d’un Etat de droit.