RFI : Pourquoi cette convocation, et comment s’est-elle passée ?
Pravit Rojanaphruk : Aucun chef d’inculpation n’a été retenu contre nous, j’en déduis que la junte convoque les personnes qu’elle considère comme une menace... Pour ma part, j’avais ouvertement critiqué le coup d’Etat. Avec moi il y avait des dirigeants politiques, des universitaires, des personnes suspectées d’organiser des manifestations. Deux anciens Premier ministres adjoints se trouvaient également dans notre camp de détention, et nous avons été bien traités. L’un des responsables nous a dit que cette convocation équivalait à un « carton jaune », comme au football.
Mais nous avons dû signer un engagement à ne pas participer à des manifestations politiques ni aider les personnes qui manifestent leur opposition au coup d’Etat, ni organiser nous-mêmes des manifestations. Dans le cas contraire, nous serions déferrés devant les tribunaux militaires et nos avoirs seraient gelés par la junte.
Votre liberté d’expression n’a pas été remise en cause ?
En fait on ne nous a rien fait signer en ce sens, mais le lendemain de ma remise en liberté un colonel m’a appelé pour me demander d’arrêter de tweeter et de critiquer la junte militaire. J’ai tenté un compromis. Je lui ai expliqué que si j’obtempérais cela ferait plus de mal que de bien au régime : il y a des gens qui suivent mon compte Twitter et qui connaissent mes positions*. J’ai essayé de le convaincre qu’il fallait laisser un minimum de liberté d’expression s’ils ne voulaient que les gens, en désespoir de cause, passent à la lutte clandestine contre la junte militaire.
Comment a-t-il réagi ?
Il a dit qu’il verrait… En fait il m’a littéralement demandé de leur donner du temps ! Il m’a dit que ce serait bien que je cesse mes critiques pendant cette période cruciale, le temps qu’ils contrôlent complètement la situation.
Vous sentez-vous en sécurité ?
J’ai reçu un nouvel appel après le premier, le colonel m’a confirmé que j’étais placé sous surveillance. Je lui ai demandé si on m’espionnait, si j’étais physiquement suivi par exemple, mais je n’ai pas eu de réponse claire. La direction centrale des autorités militaires a demandé mon dossier de détention et elle surveille mes activités, voilà ce qu’il m’a dit. Donc non, je ne me sens pas vraiment en sécurité, mais j’essaye de rester calme et de continuer à travailler, enfin d’essayer de travailler, vu les circonstances.
* @PravitR est suivi par près de 17 000 personnes.
La réaction de Brad Adams, responsable Asie de l’ONG Human Rights Watch :
« Ces convocations officielles concernent la capitale. En revanche, nous avons peu d’informations sur ce qui se passe dans le reste du pays. Aucune liste de noms n’est publiée. Mais on nous rapporte de nombreuses arrestations notamment dans le Nord et le Nord-Est où des dirigeants du mouvement des " chemises rouges " sont interpellés à leur domicile.
La principale conséquence de ce coup d’Etat est la privation absolue de liberté d’expression. La loi martiale permet de traduire les civils devant les tribunaux militaires, sans aucune possibilité d’appel. Donc les gens qui s’opposent au coup d’Etat se taisent, parce qu’ils ont peur.
Ce qui est vraiment triste, c’est qu’il y a vingt ans la Thaïlande était considérée comme la démocratie en pointe de l’Asie du Sud-Est. Mais il semblerait que militaires pensent toujours avoir le droit de gouverner lorsque les choses ne se passent pas comme ils veulent. C’est un grave problème, et un terrible retour en arrière. L’armée n’a toujours pas accepté d’être soumise à un régime civil, et de se tenir hors du chemin lorsque la population choisit ses dirigeants. Même après l’élection d’un nouveau gouvernement, les militaires continueront à mener la danse en arrière-plan, et ce n’est pas sain ».