Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde
C’est une pratique de l’ombre en vigueur depuis les années 90, une méthode destinée à terrifier et corriger les cadres considérés comme les « brebis galeuses » du régime. « Shanggui » que l’on peut traduire littéralement par « double punition », voilà à quoi a été soumis Yu Qiyi, ingénieur en chef au sein d’une société publique d’investissement de Wenzhou dans le sud-est du pays. Cet homme de 42 ans a vécu 38 jours d’interrogatoire, autrement dit une éternité sous la torture.
Supplice du seau d’eau glacé
De nombreuses traces de cigarettes ont été relevées sur son corps par son épouse, Madame Yu, qui a porté plainte. Selon l’acte d’accusation, la victime est morte après avoir subi le « supplice de la baignoire », ici en l’occurrence un seau d’eau glacé dans lequel sa tête a été maintenue à plusieurs reprises par les enquêteurs juste avant son décès.
En fusionnant les services du ministère de l’Inspection et de la commission de discipline interne du parti en 1993, les pouvoirs de ces comités de discipline ont été considérablement renforcés. Selon un article publié par le Quotidien du peuple en 2009, 6 à 9 fonctionnaires doivent se relayer en permanence pour surveiller le suspect dans des lieux disposant de « toilettes sans verrou ».
Rebaptisé « couteaux tranchant pour punir les fonctionnaires corrompus » par ceux qui sont chargés de son exécution, le « shanggui » permet de couper le suspect du reste de la société et de ses proches pendant une période indéterminée. La dernière fois que madame Yu a vu son époux vivant, c’était le 1er mars dernier à l’aéroport de Pékin. Quelques jours plus tard, elle recevait un appel l’informant que ce dernier faisait l’objet d’une enquête pour « violation de la discipline du parti ». Le 9 avril, un nouveau coup de fil la prévenait que Yu Qiyi était décédé de « mort accidentelle ».
Mobilisation des internautes
En décidant de sanctionner les responsables de ces tortures, le tribunal de Quzhou répond à une intense mobilisation de l’opinion publique qui a manifesté sa colère sur les réseaux sociaux. Les six condamnés appartenaient au comité de discipline et d’inspection de Wenzhou. Convaincus d’avoir intentionnellement donné la mort par noyade, ils passeront donc 4 à 14 ans en prison.
Un verdict rare mais qui n’a pas permis de faire toute la lumière sur les faits. « C’est un faux procès car la justice a rendu son verdict sous le contrôle du bureau numéro 1 de la commission de la discipline de Wenzhou, confiait ce mercredi matin l’avocat de la famille de la victime, Maître Pu Zhiquiang, au micro de RFI. Liu Xiangfeng, le chef du comité de discipline qui a ordonné les tortures n’a reçu qu’un avertissement ! C’est pourtant lui le vrai criminel. » Les six fonctionnaires condamnés ont fait appel du jugement. Au total, près de 5 000 organismes peuvent aujourd’hui enfermer et interroger les fonctionnaires du parti en dehors de tout cadre légal en Chine.