Pakistan: le procureur Zulfikar a été tué car il travaillait sur le dossier Bhutto, selon Mehdi Hasan

Nouvel assassinat ce vendredi 3 mai au Pakistan : cette fois, il ne s'agit pas d'un candidat aux élections générales du 11 mai (plus de 60 personnes, des candidats et des membres de leur entourages, ont déjà été tués), mais du procureur qui enquêtait sur le meurtre de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto en 2007. Chaudhry Zulfikar venait d'obtenir la mise en résidence surveillée de l'ancien président Pervez Musharraf pour deux semaines dans cette affaire. Ce matin il a été criblé de balles par des motards, alors qu'il se rendait en voiture à une audience.RFI a joint le professeur Mehdi Hasan, professeur de communication et un des dirigeants de la commission des droits de l'homme du Pakistan.

RFI : Comment réagissez-vous à ce meurtre ?

Mehdi Hasan : Le meurtre de Monsieur Zulfikar est très triste, parce que l’assassinat de Benazir Bhutto est déjà un sujet controversé dans le pays. Il y a des gens qui pensent qu'elle n'a pas été seulement victime d'une attaque terroriste mais aussi d'une conspiration de l'establishment et d’extrémistes religieux qui avaient peur qu’elle ne revienne au pouvoir. Ils pensaient que ce serait mauvais pour leurs intérêts et leur idéologie, qu’ils tentent de faire monter en puissance depuis une dizaine d’années au Pakistan. Ils veulent changer la société en fonction de leur interprétation de l’islam, et tout chef politique qu’ils estiment être un obstacle à la mise en place de leurs objectifs politiques, ils n’hésitent pas à le ou la tuer. Et ils le font, sans que le gouvernement ne les arrête.
 
Pensez-vous que Chaudhry Zulfikar a été tué parce qu’il travaillait sur le dossier Bhutto ?
 
Oui, je le pense. Ceux qui sont impliqués dans cette conspiration, qui a abouti au meurtre de Benazir Bhutto, doivent avoir peur que si l’enquête continue, leurs noms apparaissent, et qu’ils soient poursuivis pour ce meurtre.

Plus tôt dans la semaine, Chaudhry Zulfikar a obtenu le placement en résidence surveillée de Pervez Musharraf, parce qu’il pense qu’il est impliqué dans le meurtre de Benazir Bhutto.
 
Je pense que comme Musharraf était le président au moment de l’assassinat, il en est responsable indirectement. Son administration n’est pas parvenue à mettre en place une sécurité suffisante pour la protéger. Ce meurtre s’était déroulé après une première attaque contre Benazir Bhutto à Karachi, lors de son retour d’exil : plus de 180 personnes avaient été tuées. Après cela, elle aurait dû être entourée par de très importantes mesures de sécurité, ce qui n’a pas été le cas. Musharraf était président, un président très puissant puisqu’il était dictateur, il doit être tenu responsable de cette sécurité défaillante vis-à-vis d’un chef politique aussi important.

Pensez-vous que le meurtre de Chaudhry Zulfikar a été commis par des partisans de Pervez Musharraf qui voulaient se venger de sa mise en résidence surveillée ?
 
Si Musharraf n’est pas responsable directement, certains de ses partisans qui ne prennent pas au sérieux ce qui est en train de lui arriver veulent faire pression sur le gouvernement et ceux qui demandent son jugement pour le meurtre de Benazir Bhutto et pour la violation de la Constitution pakistanaise veulent faire pression et menacer ceux qui sont actifs dans ce procès.
 
Chaudhry Zulfikar travaillait aussi sur la vague d’attentats commis à Bombay, en Inde, en 2008, qui ont fait 166 morts en quatre jours. Pensez-vous que ce dossier est lié à son assassinat ?
 
Oui, parce qu’il a été dit que ces attentats étaient le fait d’une frange d’extrémistes pakistanais, l’organisation interdite Lashkar-e-Taiba. Et au Pakistan, les partisans de la théorie du complot pensent que cette organisation a eu le soutien de l’establishment à l’époque, et qu’elle était utilisée par des militants Kashmiris.
C’est possible qu’ils aient été impliqués dans l’attentat d’aujourd’hui, s’ils ont peur d’être impliqués directement au cas où l’enquête irait assez loin. Sans preuve, sans enquête, et à moins que les résultats de cette enquête ne soient rendus publics, je ne peux vous dire aujourd’hui de manière certaine que le Lashkar-e-Taiba soit impliqué dans cet assassinat.

Plus largement, faites-vous le lien entre ce meurtre et la vague de violence au Pakistan qui endeuille la campagne électorale ?
 
Oui, pour moi l'effondrement de la loi et de l'ordre au Pakistan est une menace sérieuse à la tenue d'élections impartiales. Il y a tellement de meurtres de candidats... Aujourd'hui encore à Karachi, un candidat de l’ANP (Awami National Party) a été tué avec son fils de six ans. Hier, il y a eu un attentat à la bombe dans une permanence du MQM (Muttahida Qaumi Movement) à Karachi. Il y a tellement d’attentats, particulièrement contre des partis laïcs, le PPP (Parti du Peuple pakistanais), l’ANP et le MQM, qui seraient le fait de groupes extrémistes religieux. Il est devenu très difficile pour eux de faire campagne de manière normale, et ils ont décidé de ne plus tenir ces meetings publics qui sont essentiels dans la vie politique pakistanaise en période d’élection. Cela aura un impact : la Commission électorale du Pakistan et le gouvernement de transition ne sont pas arrivés à protéger de manière adéquate ces trois partis, leurs candidats et leurs militants.

Mais aujourd’hui, c’est un juriste qui a été tué, il n’était pas candidat…

Non, il n’était pas candidat, mais son meurtre est une conséquence directe de l’effondrement de la loi et de l'ordre au Pakistan. C’est quasiment une situation de guerre que l’on vit actuellement au Pakistan, avec les extrémistes religieux et ceux qui veulent changer la société en fonction de leur idéologie et de leur désirs. Ils croient à leurs objectifs, et ils n’hésitent pas à utiliser la violence et le terrorisme pour les atteindre.

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