Karim Pakzad: «Le mode opératoire de l’assassinat du juge Zulfikar fait penser à celui du Lashkar-e-Taiba»

Le procureur chargé de l’enquête sur le meurtre de l’ex-Premier ministre Benazir Bhutto, Chaudhry Zulfikar Ali, a été tué par balle ce vendredi matin 3 mai à la sortie de son domicile, à Islamabad. On ne sait pas encore qui est derrière ce meurtre. Karim Pakzad est chercheur associé l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Il était l’invité de la mi-journée de RFI. Il revient sur la personnalité de Chaudhry Zulfikar.

Karim Pakzad : Chaudhry Zulfikar, c’était un procureur qui a été nommé il y a un peu plus de quatre ans pour suivre d’une part l’assassinat de Benazir Bhutto, et en même temps c’est lui qui a été chargé pour suivre les attentats de Bombay qui ont été perpétrés à l’époque par une organisation jihadiste pakistanaise qui s’appelle Lashkar-e-Taiba (LeT). Or Chaudhry Zulfikar, comme tous ses homologues juges au Pakistan, bénéficiait d’une intégrité totale. Il faut savoir qu’au Pakistan contrairement à la classe politique, les juges font remarquablement leur travail et ils sont reconnus et réputés pour leur intégrité.

RFI : A votre connaissance, Chaudhry Zulfikar Ali avait-il déjà fait l’objet de menaces ou de pression ?

Oui. Il avait reçu des lettres de menaces à plusieurs reprises et c’est la raison pour laquelle sa sécurité a été renforcée. Dans l’attaque qui a tué le juge Zulfikar, ses gardes de corps ont été blessés.

Il y a plusieurs pistes après cet assassinat. On évoque d’un côté l’armée, de l’autre les talibans. Karim Pakzad, laquelle vous paraît la plus probable ?

Il y a plusieurs pistes qu’on peut envisager. D’une part, il a été en charge d’un dossier extrêmement délicat, celui des circonstances de l’assassinat de l’ex-Première ministre Benazir Bhutto, qui a été commis lorsque le général Musharraf était à la tête du Pakistan. Cette enquête, qui dure depuis cinq ans, n’a pas donné de pistes sérieuses sur l’attentat, ni les enquêtes menées par les juges pakistanais, ni les enquêtes menées par les Nations unies. Je pense que le mode opératoire de l’assassinat du juge ressemble davantage à celui de Lashkar-e-Taiba qu’à celui des talibans. Les talibans du Pakistan mènent plutôt des attentats sur des sites de masse alors que Lashkar-e-Taiba qui, à l’origine est composé de militants extrémistes islamistes urbains et que l’armée pakistanaise a largement aidé à se former dans les années 1980, a l’habitude de mener des opérations de ce genre.

Justement, on dit que ce procureur était tout proche de présenter les preuves mettant en cause sept membres de ce groupe, Lashkar-e-Taiba, dans les attentats de Bombay en 2008. Vous avez plus d’informations là-dessus ?

Dans l’enquête sur les attentats de Bombay, ce juge indépendant est allé contre l’armée pakistanaise qui, à l’époque, a rejeté toute complicité de lien avec Lashkar-e-Taiba. Il a mis en cause plusieurs membres ou ex-membres de Lashkar-e-Taiba au Pakistan et continuait ses enquêtes. Même si je n’ai pas de preuves à avancer, je penche davantage vers une attaque de Lashkar-e-Taiba pour empêcher le juge de mener ses enquêtes dans ce sens.

L’arrestation de Pervez Musharraf, sa mise en résidence surveillée, vous y voyez un lien également ?

Je ne pense pas qu’aujourd’hui le général Muscharraf a les moyens et les capacités de mener des actions de ce genre alors qu’il est en résidence surveillée. Mais en même temps, il ne faut pas oublier qu’au Pakistan, l’armée pakistanaise a toujours été un « Etat dans l’Etat ». L'Inter-Services Intelligence (ISI) notamment - la plus grande des trois agences de renseignement du pays – qui est une organisation extrêmement puissante, a des milliers d’autres organismes affiliés dont certains ne sont même pas connus par le gouvernement ou d’autres milieux. Donc, on ne peut pas exclure des postes variés et différents et c’est la raison pour laquelle des assassinats de ce type au Pakistan n’ont jamais été élucidés.

L’assassinat de Chaudhry Zulfikar s’inscrit aussi dans un contexte d’élections, un scrutin législatif aura lieu le 11 mai avec une campagne, on l’a vu ce vendredi, teintée de menaces de mort pour bon nombre de candidats. L’un d’eux, Saddiq Zaman Khattak, a été tué ce matin avec son fils. Il s’agit, là aussi, selon vous, de marquer les esprits ou y a-t-il une vraie volonté de déstabiliser le pays ?

La stratégie des talibans pakistanais est fondée sur la déstabilisation du Pakistan. Les talibans pakistanais veulent déstabiliser le Pakistan et prendre le pouvoir pour le transformer en base d’exportation de la « révolution islamique » dans le monde. Ils ont fait de la déstabilisation du Pakistan et notamment de ces élections leur objectif essentiel. C’est la raison pour laquelle ils ont en un peu plus d’un mois de campagne officielle, commis de nombreux attentats et assassiné une centaine de personnes. Mais je pense quand même que le gouvernement pakistanais a pris pas mal de mesures. Il a, par exemple, mobilisé près de 600 000 soldats et policiers pour assurer la sécurité.

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