Le maire de Namie le dit très bien : « Le temps y est suspendu ». Tout a été abandonné à la seconde où l’ordre d’évacuation est tombé. Les commerçants ont quand même pris le temps de baisser, par acquis de conscience, leurs rideaux de fer.
Les rues sont désertes, les parkings aussi, sauf le parking à vélo à côté de la gare. Visiblement, les habitants avaient pris leurs deux-roues pour rejoindre les trains, peut-être pour aller travailler le jour de la catastrophe, peut-être au moment de l'évacuation. Les vélos restent là, bien rangés ; depuis deux ans, leurs pneus se dégonflent doucement.
On passe à côté d’une librairie, on voit derrière les vitrines des piles de journaux qui n’ont même pas été déballées. Derrière la fenêtre d’une cuisine, on devine les ustensiles, la vaisselle. Au-dessus des rues les câbles électriques sont intacts, certains feux de signalisation fonctionnent même encore. Mais sur les trottoirs, les herbes ont commencé à pousser à travers les interstices. On serait tenté de dire que la nature reprend ses droits, mais ce n’est pas du tout le cas : le plus important, la cause du départ des 21 000 habitants de Namie, ne se voit pas…
L’invisible
Si les habitants ont dû fuir, ce n’est pas à cause du tsunami, mais bien à cause de l’accident nucléaire. Les radiations sont évidemment partout, et cette sensation est très étrange : on regarde ces images parce que c’est Fukushima, et en fait on ne voit pas ce qu’on est venu découvrir, c’est-à-dire l’accident nucléaire, les radiations. En fait, cette présence des radiations se traduit à l’image par une absence, une absence totale d’habitants.
Par contre on voit les ravages de la secousse et du Tsunami : quelques-unes des maisons ont été complètement mises à bas, il ne reste plus que le toit sur un lit de gravas. Des vitrines ont explosé, certains des habitants ont recouvert les trous béants par des bâches bleues. Le plus impressionnant, on le voit de part et d’autre de la route qui mène à Namie : des bateaux qui ont été déposés par la vague du Tsunami, des bateaux intacts, bien droits, sur les terres, à un kilomètre du rivage.
Tamotsu Baba, maire de Namie
Cette cartographie pourrait n’être qu’un « coup médiatique » de Google Street View. C’est certes le cas et il est un petit peu gênant de tomber de temps en temps au détour d’une rue sur le logo Google. Mais c’est le maire de Namie, Tamotsu Baba, qui a contacté l'entreprise, à la suite explique-t-il, d’une demande des anciens habitants, qui voulaient voir à quoi ressemblait leur ville aujourd’hui. Le maire a aussi pensé que beaucoup de gens à travers le monde voulaient peut-être voir comment l’accident nucléaire avait affecté la vie des communautés alentours.
Le post du maire sur le blog de Google est plein d’émotion : il montre une capture d'écran de rue déserte, et précise que c’est là que se déroulait chaque année le Festival d’automne de Namie, qui accueillait jusqu’à 100 000 visiteurs. Il explique également qu’il est très dur pour les anciens habitants de Namie de ne pas pouvoir passer à leurs enfants cette ville qu’ils ont reçue de leurs parents. Cette cartographie, c’est un peu un moyen de leur faire comprendre l’histoire de la ville, une histoire qui semble aujourd’hui en suspens, bloquée, comme ces images figées.
Tamotsu Baba tente de terminer sur une note positive, il dit : « Cela prendra peut-être des années mais nous ne renoncerons jamais à retourner chez nous ...». Vu ce qui s'est passé, et ce qui se passe encore puisque l'accident nucléaire n'est pas terminé, cet espoir tient malheureusement du vœu pieu.