Surykant Bundake, vêtu d’une chemise blanche à carreaux fraîchement repassée, passe devant le tableau noir de la grande classe de l’école d’un quartier populaire de Churchgate, au sud de Bombay, transformée en centre d’enregistrement. Il s’avance vers la chaise en plastique posée devant un fond blanc, et enlève délicatement ses lunettes. La webcam prend sa photo. Clic.
Il pose ensuite un appareil gris sur son visage, qui, en deux secondes, fait apparaître une photo de ses deux yeux sur l’écran. Clac. Puis il relit et confirme à l’opératrice ses informations biographiques entrées dans l’ordinateur. Finalement, cet ancien ouvrier à la retraite, âgé de 64 ans, se lève et pose ses doigts sur un lecteur qui émet une lumière fluorescente verte. Ses empreintes apparaissent sur l’écran de l’ordinateur, suivies d’une lumière rouge. Front plissé de l’opératrice. « Réessayez », lui intime-t-elle. Lumière rouge, de nouveau.
« Nous avons des problèmes avec les travailleurs manuels et les habitants des bidonvilles, confie en aparté Pritesh Sapkal, analyste pour l’entreprise informatique Glodyne, déléguée par l’Etat pour cette opération. Leurs empreintes sont usées ». Les lecteurs doivent pouvoir lire au moins 60% des empreintes soumises, et il aura fallu cinq essais pour que ces dix données biométriques de Surykant soient validées. Il pourra finalement partir avec le reçu de son inscription dans le système, et devrait recevoir, trois mois plus tard, la carte portant son « numéro unique d’identité ».
Réduire la corruption
Ce projet colossal de carte d’identité biométrique, appelé Aadhar (« fondation » en hindi), a été lancé en septembre 2010, avec comme but de relever les données biométriques (empreintes digitales et de l’iris, la partie colorée de l’oeil) de plus de 1,2 milliard d’habitants. L’objectif est d’abord de créer la première carte d’identité du pays, et d’inclure dans le système plus de 120 millions d’Indiens qui n’ont aucun papier, et donc aucun droit aux yeux de l’Etat.
Un moyen moderne, également, de faciliter la mobilité économique, freinée par une administration tatillonne, archaïque et souvent corrompue. Enfin, l’utilisation des données biométriques « uniques » permettrait de tracer la distribution des aides publiques, et de réduire le détournement actuel, par les intermédiaires, des subventions sur les produits de première nécessité offertes aux Indiens les plus pauvres. Une fraude qui coûte chaque année des centaines de millions d’euros à l’Etat indien.
La plus grande base de données au monde
A terme, le projet mené par Nandan Nilekani, ancien directeur du géant indien de l’informatique Infosys, devrait relier ce numéro unique au compte en banque du bénéficiaire, et permettre des transferts sécurisés, même dans les campagnes où des agents bancaires se rendraient munis d’un lecteur biométrique. « Il suffirait d’y poser le doigt pour s’identifier », assure Santosh Bogle, coordinateur du projet pour l’Etat du Maharashtra, où se trouve Bombay.
Mais cette vision semble encore irréelle dans un pays où à peine les deux tiers de la population sont connectés au réseau électrique, un tiers à de l’eau potable, et dont la moitié seulement possède un compte en banque. Le projet, dans tous les cas, avance à marche forcée. Plus de 200 millions d’identités ont à ce jour été entrées dans le système, ce qui représente déjà la plus grande base de données au monde.