Aung San Suu Kyi en France, l'ultime étape d'une tournée européenne historique

La France a voulu dérouler le tapis rouge pour la chef de file de l'opposition birmane, qui a été reçue, mardi 26 juin, par le président François Hollande. Cet accueil digne d'un chef d'Etat est non seulement une marque de reconnaissance de la France pour le combat de la Dame de Rangoun en faveur de la démocratie et des droits humains en Birmanie, mais aussi le signe que Paris souhaite continuer à promouvoir une transition démocratique du pays et de s'engager aux côtés de la société civile.

Depuis la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) qui a remporté, en avril 2012, 43 des 44 sièges de députés qu'elle briguait - devenant la première force d'opposition au Parlement birman avec quelque 10% des sièges - tous les regards se tournent désormais vers Aung San Suu Kyi, la leader de l'opposition. Après plus de 15 ans de prison ou de résidence surveillée, l'égérie birmane a fait une entrée spectaculaire à l'Assemblée birmane. Un Parlement, certes, toujours occupé par une majorité de militaires. Mais aujourd'hui, des millions de Birmans pensent à 2015, date des prochaines élections générales et rêvent de voir Aung San Suu Kyi prendre la tête du pays.

Un rêve qui pourrait devenir réalité. Dans une interview accordée à la BBC, Aung San Suu Kyi a en tout cas confirmé son désir de diriger son pays. Au préalable, l'opposante devra renforcer son parti, le réorganiser et réconcilier les différentes générations en vue des élections législatives de 2015.

Suu Kyi siègera pour la première fois à l'Assemblée birmane le 4 juillet prochain. Objectif affiché : modifier l'équilibre des forces en exigeant l'amendement de la Constitution de 1988 qui réserve 25% des sièges aux militaires.

Pouvoir et opposition : une relation de confiance

Mais avant cette échéance électorale, l'ampleur de la tâche est titanesque. Car, après 50 ans de dictature militaire, tout reste à reconstruire. Et pour mener à bien ce vaste chantier politique, économique et social, Aung San Suu Kyi devra travailler main dans la main avec l'architecte principal des réformes en cours, l'actuel président et ancien général Thein Sein.

Pour David Camroux, maître de conférences à Sciences Po, rattaché au Centre d'études et de recherches internationales, Aung San Suu Kyi et Thein Sein sont interdépendants : « Le président a besoin de l'opposante car elle seule peut faire revenir la Birmanie dans le giron de la communauté internationale, permettre la levée des sanctions internationales et encourager les investissements étrangers. Dans le même temps, Aung San Suu Kyi a besoin de l'homme fort du régime birman pour mener à bien des réformes afin que soit établi un Etat de droit. Il s'agit pour Aung San Suu Kyi d'une condition essentielle, car sans Etat de droit, aucune transparence, aucun système judiciaire équitable, aucune réconciliation entre les différents groupes éthniques, et aucun investissement étranger ne seront possibles. »

L'opposante birmane a d'ailleurs beaucoup insisté sur ce point pendant sa tournée européenne, en incitant la communauté internationale à continuer d'accompagner le pays dans un processus de démocratisation qui, selon David Camroux, prendra plusieurs décennies.

La réconciliation nationale, paramètre essentiel sur le chemin de la démocratie

Pour la réussite de ce chantier d'envergure c'est l'ensemble des acteurs en Birmanie, y compris les membres du gouvernement actuel, qui doivent y prendre part.

La société civile, qui joue déjà un rôle très actif (comme elle a pu le démontrer lors de sa mobilisation auprès des sinistrés du cyclone Nargis en 2008, qui a fait plus de 130 000 morts et disparus), doit être associée à cette transition. La société doit trouver toute sa place dans la construction d'un Etat capable de réconcilier une société complexe, multiéthnique et multireligieuse tout en gardant l'armée à distance et éviter qu'elle n'intervienne, comme elle l'a fait en 1962. Lors du coup d'Etat, la junte avait reproché aux civils leur incapacité à préserver l'unité nationale.

Dernier exemple en date : l'état d'urgence décrété dans l'ouest du pays suite aux violences contre la minorité musulmane des Rohingyas. Ces incidents, qui illustrent la fragilité des relations intercommunautaires en Birmanie mettent en péril la transition démocratique dans le pays mais font surtout courir le risque d'un retour en force de l'aile dure de l'armée au pouvoir.

Des investissements éthiques

Riche en matières premières, la Birmanie dispose d'un gigantesque potentiel économique et humain qui aiguise les appétits des multinationales. Depuis les premiers signes d'ouverture, il y a un peu plus d'un an, la Birmanie est devenu la destination incontournable des sociétés occidentales et des pays voisins, qui cherchent tous à s'assurer une place sur ce nouveau marché florissant.

Un marché si convoité qu'il pourrait peser sur l'équilibre géopolitique. Et c'est justement l'un des défis majeurs d'Aung San Suu Kyi qui souhaite voir une influence plus importante des acteurs économiques occidentaux, au détriment de la Chine notamment.

L'ambassadeur de France en Birmanie, Thierry Mathou, préconise, quant à lui, un encadrement législatif des investissements étrangers, et souhaite voir les entreprises jouer un rôle qui irait bien au-delà d'une démarche commerciale. « Il ne faut pas se précipiter sur la Birmanie. Le meilleur raisonnement à avoir est de réfléchir sur ce que la France peut rapporter à la Birmanie et pas seulement à ce que la Birmanie peut apporter à la France. » Un voeu déjà émis par Aung San Suu Kyi au début de sa tournée européenne.

S'il n'existe aucune certitude quant à la bonne marche de la transition démocratique birmane, il est un sentiment d'espoir qui a reparu aujourd'hui dans ce pays. « Le sentiment de peur a disparu, affirme David Camroux. Les Birmans ressentent un réel soulagement, avec l'espoir de lendemains meilleurs. » Comme Suu Kyi l'écrit dans son recueil d'articles, Se libérer de la peur, publié en 1991, « quand il n'y a plus de peur, tout devient possible ».

Pour la majorité de la population, qui ne voyait aucune issue ces vingt dernières années, la situation évolue enfin dans le bon sens. L'icône démocratique et fine stratège politique réussira-t-elle son pari en prenant le pouvoir par les urnes ? Réponse dans trois ans, lors des prochaines élections générales.

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