Violences dans l'ouest de la Birmanie : les autorités redoutent la contagion

Depuis vendredi 9 juin, l’Etat d’Arakane (ou Rakhine) connaît une explosion de violence. Des musulmans et des bouddhistes s’affrontent dans cette région frontalière du Bangladesh. Les tensions intercommunautaires y sont fréquentes mais elles ont rarement atteint un tel niveau. Le pouvoir central dit craindre une contagion à d'autres parties du pays. 

Les images diffusées sur plusieurs télévisions montrent les nombreuses maisons calcinées dans la ville de Sittwe, capitale de l’Etat d’Arakane. Plusieurs centaines d’entre elles ont été incendiées depuis vendredi. Des journalistes présents sur place ont vu des résidents d’un village armés de coupe-coupe et de bâtons, tandis que dans le centre de la ville, la plupart des hommes rencontrés dans les rues, lundi 11 juin, portaient des armes blanches. Les forces de l’ordre ont été renforcées et postées autour de l’aéroport, des pagodes et des mosquées. Plusieurs personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées, mais le chiffre exact des victimes est difficile à établir.

Ces violences ont démarré à la suite du lynchage de dix musulmans par une foule de bouddhistes en colère, le 3 juin, dans la localité de Maungdaw, toute proche de la frontière du Bangladesh. Les victimes étaient suspectées d’être responsables du viol et du meurtre d’une femme bouddhiste quelques jours plus tôt. Le 7 juin dernier, le gouvernement avait annoncé une enquête indépendante mais sans parvenir à calmer les esprits. Du coup, les affrontements se sont déportés à Sittwe. Chaque communauté tient l’autre pour responsable des attaques. Des bouddhistes accusent des « Bengalis » d’avoir brulé leurs maisons et leurs monastères, alors que des musulmans affirment que certains des leurs ont été tués par les forces de sécurité ou des « Arakanais », autrement dit des bouddhistes.

Poudrière ethno-religieuse

Difficile de savoir qui dit vrai. Quoi qu'il en soit, ces affrontements interviennent dans une région où les relations intercommunautaires sont complexes. Dans l’Etat d’Arakane (ou Rakhine selon la terminologie employée par les autorités birmanes), qui borde le Bangladesh, cohabitent des populations de cultures très différentes. D’une part des boudhistes arakanais, de l’autre une importante minorité musulmane*.

« C’est la rencontre de deux monde très différents, indochinois pour les bouddhistes, indien pour les populations musulmanes », explique Guy Lubeigt, chercheur au CNRS**. D’un côté, les Rohinghyas s’estiment exclus et brimés par le pouvoir central. De l’autre, les populations bouddhistes ont tendance à assimiler tous les musulmans à des étrangers.

A l’occasion des affrontements de ces derniers jours, plusieurs centaines d’Arakanais se sont d’ailleurs rassemblés à Rangoun, à la pagode Shwedagon, haut-lieu du bouddhisme birman, avec des slogans sans ambiguïté. Certains brandissaient ainsi des pancartes où était écrit « pas de place pour les terroristes bengalis » ou « sauvez les Arakanais ».

Le président birman s'inquiète

Cette hausse de la tension dans l'Ouest préoccupe au plus haut point le pouvoir central. Après avoir instauré un couvre-feu à Sittwe et dans trois autres villes de l’Etat d’Arakane, dimanche 10 avril, l’état d’urgence a été instauré. Le même jour, dans une adresse à la nation,  le président Then Sein a exigé l'arrêt de violences qui risquent, selon lui, de dégénérer. « Si les deux camps se tuent les uns les autres dans une haine et une revanche sans fin (…) cela pourrait se propager au-delà de l’Etat de Rakhine », a indiqué le chef de l’Etat birman, qui en a appelé à protéger « le processus démocratique et le développement » du pays. Est-ce à dire que le processus de « perestroïka à la birmane » engagé depuis un an est en danger ? « En tous cas, on ne peut pas exclure une manipulation, affirme Guy Lubeigt. A chaque fois que le gouvernement a été contesté ou dans des périodes de réformes, il y a eu des troubles raciaux entre musulmans et bouddhistes téléguidés par des officines liées aux militaires ».

Dans ce contexte de tension, les Nations unies ont commencé à retirer leur personnel international de certaines zones touchées par les affrontements, de même que plusieurs organisations non gouvernementales, dont Action pour la faim. A l’extérieur, la situation dans l'ouest de la Birmanie suscite l’inquiétude. Le Bangladesh a renforcé la sécurité à sa frontière et a déjà refoulé des populations musulmanes tentant de fuir le pays à bord d’embarcations. De son côté, le Royaume-Uni, ex-puissance coloniale, a appelé les autorités à ouvrir des pourparlers « afin de mettre fin aux violences et de protéger tous les membres de la population locale ».

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*Officiellement, les musulmans représentent 4% de la population totale en Birmanie, tandis que 89% des Birmans sont bouddhistes. 

**Dernier ouvrage paru: Nay Pyi Taw : Une résidence royale pour l'armée birmane, IRASEC/Les Indes savantes, février 2012, 185 p.

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