Cinéma asiatique: rétrospective à Udine des films sud-coréens tournés sous la dictature

Le 14e Festival du cinéma populaire asiatique d’Udine, dans le nord-est de l’Italie, présente jusqu'au 28 avril une sélection de dix oeuvres réalisées en Corée du Sud sous la dictature des années 1970. Une programmation qui laisse entrevoir l’habileté des cinéastes de l’époque à contourner la censure.

De notre envoyé spécial à Udine

Alors qu'il est au pouvoir depuis une dizaine d'années, le président Park Chung-hee instaure un régime dictatorial au Pays du matin calme, pays qu’il dirigera ensuite d'une main de fer de 1971 à 1979. Une période très difficile pour les cinéastes et pour la société sud-coréenne en général, puisque le gouvernement militaire de Séoul se sent alors menacé à la fois par la situation intérieure et par la Corée du Nord communiste. C’était le temps de l’oppression, marquée par une censure omniprésente. Mais malgré cela, les réalisateurs vont réussir à vaincre les obstacles et à créer des oeuvres fortes comme celles de la rétrospective intitulée « La décennie la plus sombre », présentée ici dans le cadre du 14e du Festival du cinéma populaire asiatique d’Udine (FEFF).

Résistance

« Il y a une véritable énergie dans ces films divers et variés, mais unis par une forme de défi et de résistance face au système, explique Darcy Paquet, le programmateur de cette rétrospective. Le gouvernement était en effet sensible à toutes formes de critiques, car la Corée du Nord, bien plus puissante qu’aujourd’hui, représentait un grand péril. Les Sud-Coréens ne pouvaient pas faire l’éloge du voisin du Nord mais, dans le même temps, s’ils critiquaient leur propre pays, le Sud, le gouvernement assimilait leurs observations à une prise de position en faveur du frère ennemi du Nord ».
 

Persuadé que l’industrie du cinéma pouvait influencer le public, le gouvernement s’appliquait donc avec zèle à contrôler le travail des cinéastes. Mais paradoxalement, cette censure pesante a engendré un esprit fécond, incarné notamment par le film Iodo, réalisé en 1977 par Kim Ki-young (connu également pour ses fictions précédentes telles The Housemaid, 1960, et The Insect Woman, 1972).

A un moment où le pouvoir militaire décide d’accélérer l’industrialisation de la Corée du Sud, Kim Ki-young va à contre-courant et choisit de situer l’action de son film sur une île peuplée uniquement de femmes dont la vie est régie par des pratiques ancestrales comme le chamanisme. Complexe et bizarre au premier abord, parsemé de nombreux « flash-back », Iodo se révèle être un film profond, décrivant avec cohérence les contrastes entre des traditions sociales ancestrales et les usages de la société moderne que prônait le gouvernement.

Frustrations

Autre film expérimental de cette rétrospective : Night Journey, un drame érotique de 1977 signé Kim Soo-yong, l’un des réalisateurs les plus prolifiques avec 109 films à son actif (dont Sorrow Even In Heaven, 1965, et Scent Of Love, 1999). Night Journey met en scène une employée de banque (interprétée par la sublime et sensuelle Yoon Jeong-hee, que l'on a pu revoir récemment dans Poetry de Lee Chang-dong) qui vit avec son chef. Le couple garde secrète sa relation afin d’éviter des commérages. Mais, frustrée par la vie qu’elle mène, l’héroïne reste indécise quant aux choix qu’elle doit faire pour son avenir. Et à travers son expérience et son regard sur le monde qui l’entoure, le spectateur découvre une société coréenne frustrée, elle aussi, suffoquée par un régime autoritaire.
 

Bien qu’il soit labellisé « drame érotique », le film ne comporte pas de scènes de nu. Les séquences « chaudes » relèvent plutôt de la suggestion, ce qui confère une plus grande puissance aux images. Mais au fond, qu’est-ce qui aurait pu être censuré dans ce long métrage ? « Le gouvernement était évidemment très strict sur les contenus à caractère sexuel. Mais pas seulement. S'il jugeait un film trop sombre ou trop dépressif, alors il coupait des scènes ou les faisait déplacer. Il ne voulait pas de films qui présentent une vision trop morne de la société ou qui le critiquent sur le plan politique », remarque Darcy Paquet.

Contourner la censure

Pour contourner la censure, chaque cinéaste avait sa propre stratégie. Par exemple, Yu Hyun-mok, (auteur de 43 films dont Aimless Bullet, 1961, et Empty Dream, 1965) réalisait, lui, des films essentiellement pour le gouvernement. Mais en dépit des consignes des autorités, Yu Hyun-mok était capable d’introduire un certain niveau d’humanité dans ses personnages, ceux censés être des Nord-Coréens entre autres, s’éloignant ainsi des objectifs du gouvernement. Rainy Days, que le public d’Udine a pu découvrir, en est la parfaite illustration.
 

Tourné en 1979, Rainy Days est un long métrage sur la guerre de Corée (1950-1953). Une guerre qui déchire non seulement le pays mais également des membres d'une même famille pour des raisons idéologiques. A première vue, le film pourrait être considéré comme anti-communiste, c’est pourquoi il avait reçu l’aval du gouvernement. Mais à y bien observer, ce n’est peut-être pas le cas. Le réalisateur ne prend pas vraiment partie et parvient à humaniser les deux camps belligérants, laissant ainsi entendre qu’il comprend les deux côtés, militants pour le Nord et anti-communistes. Le film s’achève sur un moment symbolique : la réconciliation - grâce aux femmes – d’une famille divisée. Des femmes qui, en général, occupent d’ailleurs un rôle majeur dans les fictions de cette période.

L’importance des personnages féminins

L’importance accordée aux personnages féminins constitue assurément l’un des principaux points communs entre les films sud-coréens réalisés sous la dictature des années 1970. Nombre d’entre eux mettent en avant les femmes. « Ayant beaucoup moins de libertés que les hommes, à l’instar des cinéastes, bien entendu, elles ne faisait pas ce qu’elles voulaient. C’est pourquoi, ce que les héroïnes voient et ressentent dans ces films traduit en quelque sorte de manière indirecte le sentiment du metteur en scène, souligne Darcy Paquet. On peut citer à nouveau le cas de l’héroïne de Night Journey : une femme frustrée dans une société frustrée, qui n’a pas de vision claire de son avenir ». Une société plongée dans l’une des périodes les plus sombres du pays mais culturellement des plus fertiles. Car l'esprit créatif né sous la dictature des années 1970 en Corée du Sud a aussi contribué à l'émergence d'une culture locale dans le domaine de la littérature, de la musique et du 7e Art (avec l’essor de films plus intellectuels) au détriment de la culture américaine qui prédominait dans le pays depuis les années 1960.

____________________________________

14e édition du Festival du cinéma populaire asiatique d’Udine (FEFF), du 20 au 28 avril.

 

Partager :