La sécurité des militaires français en Afghanistan au menu de la visite de Karzaï à Paris

Hamid Karzaï est à Paris ce vendredi 27 janvier 2012. Le président afghan vient pour signer avec Nicolas Sarkozy, le président français, un traité d’amitié et de coopération. La question de la sécurité des militaires français en Afghanistan sera également abordée. Le 20 janvier dernier, quatre d’entre eux ont été tués par un soldat afghan en formation.

Hamid Karzaï arrive dans une ambiance particulière, entre solennité -avec l’hommage rendu mercredi dernier à Varces en Isère par Nicolas Sarkozy aux soldats tués– et débat sur la présence française dans le pays. Alors qu’à l’origine, on devait surtout parler amitié et coopération –les deux mots sont importants- entre la France et l’Afghanistan à l’occasion de la signature d'un traité, sensé célébrer les 90 ans de la relation franco-afghane et la consolider. Un traité très complet, qui va de l’économie et la sécurité à l’archéologie, en passant par l’agriculture, la santé, l’éducation. Un traité chiffré même en ce qui concerne les bourses d’étudiants.

Avant la mort de ces quatre soldats français, Kaboul se déclarait ravi de ce traité. Mais depuis, au regard de l’attitude adoptée par Paris, on était légitimement en état de se demander s’il était toujours d’actualité. Car dès que la mort des quatre soldats français a été annoncée, quatre soldats désarmés, tués en plein footing dans leur base, le président français a annoncé un éventuel retrait anticipé de l’armée française, si les Afghans ne renforçaient pas la sécurité des soldats français. Car c’est par un soldat de l’armée afghane que les Français ont été tués. Visiblement, il s’agissait d’un taliban infiltré, un déserteur afghan qui se serait réengagé après un passage au Pakistan. Nicolas Sarkozy a immédiatement envoyé sur place son ministre de la Défense Gérard Longuet pour un rapport sur la sécurité des soldats français.

Un sujet national

Et comme la France est en pleine campagne électorale, les candidats à la présidentielle se sont saisis du sujet, avec une déclaration remarquée du candidat socialiste François Hollande -actuellement en tête dans les sondages- qui promet un départ d’ici la fin de l’année s’il est élu. Tant et si bien que le Premier ministre Alain Juppé a dû souligner que la France n’entendait pas céder à la panique : « Quand j'entends parler de retrait immédiat, fût-ce à la fin 2012, je ne suis pas sûr que ceci ait été mûrement réfléchi et étudié ». Le sujet a pris tellement d’ampleur que même celle que l’on appelle « la grande muette », l’armée a donné de la voix dans le journal satyrique Le Canard enchaîné, et un retrait anticipé ne conviendrait pas du tout aux militaires.

Le général à la retraite Vincent Desportes, professeur à Science Po, qui est allé plusieurs fois en Afghanistan dans les années 2000, parle de « surréaction » à un évènement qui « si dramatique qu’il soit, n’appartient qu’à la réalité de la guerre ». Il souligne aussi que des engagements ont été pris vis-à-vis des autres membres de l’Isaf (la coalition dirigée par l’Otan en Afghanistan), et qu’un retrait anticipé déséquilibrerait tout le dispositif à un moment où il est déjà en train de s’alléger. Un dispositif dont les Français sont d’ailleurs un élément clé, puisqu’ils assurent la sécurité dans des zones stratégiquement très importantes entre le Pakistan et Kaboul, une voie dont se servent les talibans pour se réapprovisionner en matériel et en hommes.

Par ailleurs le général Desportes souligne que si ramener les 3 600 Français encore en Afghanistan peut se faire en quelques coups d’avion, pour ce qui est du matériel, c’est autre chose : sur place, 1 300 véhicules, les meilleurs équipements français -des véhicules blindés de combat d’infanterie, les canons Caesar, les hélicoptères Tigre- tout cela prend énormément de temps à rapatrier, pas beaucoup moins de 18 mois en fait, ce qui nous amènerait donc déjà assez facilement à fin 2013.

Une offre difficile à refuser

Et puis si la France « lâchait » en quelque sorte son allié afghan, elle ne profiterait pas, en tous cas moins des offres économiques que Kaboul fait à Paris, après dix ans d'appui militaire. De fait, le traité qui doit être signé ce vendredi comporte aussi (surtout peut-être) un volet économique. L’ambassadeur d’Afghanistan en France, le docteur Assad Omer vante ainsi les « ressources naturelles énormes » de son pays, et explique que l’Afghanistan a besoin d’entreprises pour reconstruire ses routes et son réseau ferré, besoin de cimenteries aussi – et là le groupe français Lafarge est déjà selon lui, en train de négocier. Enfin, la mise en valeur de l’eau est également considérée comme un élément très important (l’Afghanistan n’utilise que 15% de son eau). « On veut que les entreprises françaises -maintenant qu’on est très proches sur le plan culturel, militaire, maintenant que les Français ont versé le sang en Afghanistan- on veut devenir  partenaires économiques », explique l’ambassadeur, qui souligne que les Américains, les Allemands, les Italiens seront là eux aussi, avec la Chine, le Canada et l’Inde. Bref, s’il y a beaucoup de marchés, les candidats ne manquent pas non plus, et qui dit marchés dit aussi emplois  en cette période de crise et de présidentielle française.

Un traité intact

Au final, depuis la mort des militaires français, ce traité n’a pas été retouché –c’est en tous cas ce qu’affirme l’ambassade d’Afghanistan en France. Et il faut noter que ce traité prévoit aussi que la France laisse des militaires formateurs sur place après son départ. Le Canada, qui a rapatrié tout son contingent l’an dernier (plus de 9 000 hommes) a ainsi laissé plusieurs centaines de formateurs sur place. Le docteur Assad estime qu’il faudra encore 10 ans pour consolider la paix. Si le traité n’a pas été modifié, c’est que la présence de formateurs à terme est toujours d’actualité. Déjà Nicolas Sarkozy avait modéré son discours mercredi 25 janvier, lors de la cérémonie d’hommage aux soldats. Il a appelé à ne pas se laisser « aveugler par la douleur, si vive soit-elle », pointant du doigt celui qui a pris « le visage de nos alliés, sous les dehors de l'armée régulière » : le terrorisme.

La sécurité de l’armée française sera évidemment au menu des discussions ce vendredi entre le président Sarkozy et Hamid Karzaï, qui sera certainement venu avec des assurances de sécurité pour les soldats français. Le général Desportes évoque déjà la séparation plus nette des soldats français et afghans dans les enceintes, et l’imposition quelles que soient les activités du port d’armes. En tous cas, le traité devrait être signé en fin d'après-midi à l'Elysée par les deux présidents, traité en français, dari et pachtoune.

En le faisant, Nicolas Sarkozy pensera peut-être aux mots avec lesquels le général de Gaulle avait accueilli en 1965 le roi d'Afghanistan Zaher Shah à Paris : « Mais voici que l’époque moderne réduit les dimensions du monde, que le progrès, l’équilibre et la paix deviennent pour l’humanité les conditions essentielles non seulement de son développement, mais même de son existence. Et qu’ainsi l’entente politique et la coopération pratique de l’Afghanistan et de la France ont les meilleures raisons d’être ».

Et comme le roi Zaher Shah en 1965, Hamid Karzaï déposera en fin de journée une gerbe à l'Arc de Triomphe, sur la tombe du soldat inconnu, une cérémonie qui, vu les circonstances, prendra là aussi une tonalité particulière.

Partager :