« Aux prochaines élections, la voix du peuple sera entendue et ce gouvernement corrompu tombera de son piédestal ». Anwar Ibrahim, 64 ans, était très sûr de lui après sa relaxe, et c'est bien ce qui fait peur au Premier ministre Najib Razak : que le chef de l'opposition continue sur sa lancée après sa victoire aux législatives de 2008, qui l'avaient vu remporter plus d’un tiers des sièges, un record dans un pays gouverné par la même coalition depuis l'indépendance il y a cinquante ans.
L’opposition le répétait depuis trois ans : c’est parce qu’Anwar gêne le pouvoir qu’il fait face à ces accusations de sodomie. Des accusations forcément politiques, une fabrication. Pour preuve, il a déjà fait face aux mêmes accusations à la fin des années 1990, alors qu'il était vice-Premier ministre de Mahathir Mohammad et considéré comme son dauphin, bien placé donc pour être le prochain Premier ministre. Après une vive dispute et sa démission, Anwar Ibrahim avait dû faire face pour la première fois à ces accusations de sodomie, de corruption également. Il s’en est toujours défendu, la cour l’a quand même condamné à 14 ans de prison.
Mais les charges sont finalement abandonnées, et Anwar Ibrahim sort de prison en 2004 pour mener la coalition de l’opposition, Pakatan Rakyat, à ce succès aux élections législatives de 2008. Immédiatement, de nouvelles accusations de sodomie sont portées à son encontre par un ancien assistant, Saiful Bukhari Azlan, qui reconnaîtra avoir rencontré le Premier ministre avant de déposer plainte, preuve selon la défense que l'affaire avait été fabriquée de toutes pièces.
Un verdict inattendu
Le procès aura duré deux ans. Et même s’il y a un an Ibrahim Anwar se disait confiant, expliquant que sa défense « était bien mieux préparée qu’en 1998 », la veille du verdict il confiait plutôt s’être préparé à être condamné. Le chef de l’opposition s’était pourtant défendu avec acharnement, terminant ce procès par une visite de huit Etats en six jours, avec comme objectif : « Dire mon innocence et convaincre la population qu’il est temps de voter le départ du gouvernement de Najib Razak, et de se diriger vers une démocratie plus large et plus ouverte ». Cette tournée s’est terminée devant la Haute Cour de Kuala Lumpur ce lundi 9 janvier 2012 dans la matinée, pour l’annonce de l’acquittement d’Ibrahim Anwar.
Un acquittement qui a surpris tout le monde. Le ministre de l'Information malaisien Rais Yatim en a profité pour immédiatement se féliciter de cette relaxe « qui montre l'indépendance de la justice malaisienne », il a surtout espéré que « plus rien ne viendra miner l'unité du peuple ou de ses institutions ».
Car, et c’est peut-être une des explications de ce verdict, le procès a été très suivi. Il a divisé le pays et donc paradoxalement renforcé l'opposition au moment où la popularité du Premier ministre s'effritait. Arrivé avec une majorité solide en 2009, celui-ci a depuis dû faire face à une population rendue mécontente par une inflation toujours haute, des réformes politiques lentes à être mises en œuvre, sans compter les divisions toujours plus grandes entre religions qui lui ont fait perdre le soutien des minorités non-musulmanes.
Or Najib Razak veut avancer les législatives de 2013 pour récupérer le plus vite possible les députés perdus en 2008. Les élections devraient se dérouler cette année. Et avoir un chef de l’opposition populaire en prison n’est peut-être pas le meilleur moyen de rassembler la population. « Ce procès, loin d’être politique, a au contraire été une distraction malvenue dans notre tâche de diriger le pays dans l’intérêt des Malaisiens », a déclaré le Premier ministre une fois le verdict rendu.