Avec notre envoyée spéciale, Sophie Malibeaux
Après une ouverture un petit peu chaotique sur le plan matériel, le procès a finalement vraiment pu commencer ce lundi 21 novembre, avec l’exposé des faits par le procureur.
Une succession de récits plus effroyables les uns que les autres, concernant les vagues d’évacuation de la population déportée en masse d’un bout à l’autre du pays, ainsi que les traitements inhumains infligés à ces populations.
« Le procureur est entré dans les détails, évoquant des scènes si pénibles, qu’elles ont provoqué des réactions parmi les victimes, dont certaines émues aux larmes », raconte un avocat des parties civiles présent dans la salle.
Le président de la cour a dû refuser à l’un des accusés de sortir. Les trois hommes, Nuon Chea, Khieu Samphan et Ieng Sary, doivent être physiquement présents dans cette salle, et entendre ce qui leur est reproché.
Quant aux victimes, il a fallu beaucoup de courage à certains pour venir ici entendre leur propre histoire : les mariages forcés, les viols, les travaux dans les rizières jusqu’à épuisement, travaux dans les salines avec le sel qui rongeait les jambes des femmes, de la nourriture pire que celle que l’on donne aux cochons, des crottes de lapins en guise de médicaments, des punitions débouchant sur la mort… La liste est longue. Cette énumération va continuer encore un jour et demi, avant que la défense ne prenne la parole.
Aujourd’hui, l’énoncé des charges est général. Tout doit être évoqué pendant les deux premières journées. Ensuite, le procès sera tronçonné en plusieurs morceaux. Les accusations de génocide, par exemple, seront examinées après celles relatives aux déplacements de populations. Les victimes, elles, attendent surtout qu’on établisse les responsabilités des uns et des autres, qu’on ne laisse pas le déni, le négationnisme et l’oubli s’installer.
L'aboutissement de quinze ans de travail
Dans le box des accusés, le « frère N°2 », Nuon Chea était l'idéologue du régime, le bras droit de Pol Pot, le « frère N°1 », décédé en 1998 sans jamais avoir été inquiété. A ses côtés, l'ex-président du Kampuchea démocratique : Khieu Samphan et l'ex-ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary. Son épouse, Ieng Thirith, elle-même ancienne ministre des Affaires sociales, reste en cellule pour le moment en attendant qu'on soit fixé sur son état de santé puisqu'elle souffre de démence sénile.
Ce lundi donc, trois accusés octogénaires comparaissent devant la justice pour répondre du génocide, des crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis contre leurs concitoyens entre 1975 et 1979. Leurs victimes ont généralement connu une fin atroce. Les plus chanceuses ont été simplement assassinées, les autres sont mortes d'épuisement, de famine, de maladies, de tortures. Avant de mourir, elles ont généralement assisté au supplice et à l'agonie de leurs parents, de leurs enfants ou de leurs conjoints. Aucune famille cambodgienne n'a été épargnée. Le régime a été d'une efficacité redoutable.
C'est évidemment une audience historique : l'aboutissement de quinze ans de travail conduit à la fois par les tribunaux cambodgiens et la justice internationale. A la différence de leurs victimes, les accusés, qui rejettent toute responsabilité, ne seront pas condamnés à mort.