Cambodge: les juges du procès des Khmers rouges sommés de démissionner

Human Rights Watch demande la démission des deux juges d’instructions en charge du procès des Khmers rouges. L’ONG les accuse de partialité et de se plier aux pressions du gouvernement cambodgien.

Enième camouflet pour le tribunal des Khmers rouges. Human Rights Watch (HRW) exige, dans un communiqué daté du 3 octobre 2011, la démission pure et simple des deux juges d’instruction, You Bunleng, représentant cambodgien, et Siegfried Blunk, le représentant international. L’ONG l’affirme : le gouvernement cambodgien exerce des pressions sur les deux magistrats, les poussant à biaiser délibérément leurs enquêtes sur les deux derniers volets du procès.

Il faut dire que les cas 003 et 004* sont des dossiers sensibles dont les enquêtes visent des cadres intermédiaires du régime de Pol Pot, responsable d’environ 2 millions de morts entre 1975 et 1979. Sont en particulier dans le viseur, cinq hauts gradés de l’armée khmer rouge : Sou Met, commandant en chef de l’armée de l’air, Meas Muth, chef de la marine sont tous deux accusés de crimes contre l’humanité. Trois autres officiers, Aom An, Yim Tith et Im Chem, sont, eux, poursuivis pour génocide. Cela soulève une nouvelle fois la question de la responsabilité des subalternes et autres officiers du Kampuchea Démocratique. Mais depuis avril 2011, les investigations sont suspendues sine die.

Pour HRW, les magistrats du tribunal international ont failli à leur mission. « Les juges d’instruction ont conclu leurs enquêtes préliminaires sur le cas 003, sans le notifier aux suspects, sans avoir d’entretien avec des témoins clés, et sans enquêter directement sur les scènes de crimes », s’insurge Brad Adams, responsable Asie pour HRW. Par la suite, les deux magistrats ont estimé que les suspects étaient « trop subalternes » dans le dossier 004. Une décision qui pourrait soustraire ces suspects au mandat de la cour. « Ils (les deux magistrats) étaient censés mener une enquête véritable, impartiale et efficace. Au lieu de cela, ils ont rejeté tous les dossiers que le procureur leur a soumis », déplore Brad Adams

Des pressions politiques

Derrière la demande de démission, émise contre les deux juristes par l’ONG internationale, c’est le gouvernement cambodgien qui est visé. Le Premier ministre pèserait personnellement sur les décisions des deux magistrats. « Les juges cambodgiens n’ont d’autres choix que de suivre les volontés de Hun Sen et des autres cadres du gouvernement », accuse Brad Adams. Des collaborateurs du tribunal ont même démissionné de leur poste en signe de protestation. « De nombreux témoignages l’attestent, il y a eu des consignes émanant directement du pouvoir », affirme le représentant d’HRW en Asie.

Il faut dire que l’actuel chef du gouvernement aurait tout intérêt à ce que les cas 003 et 004 soient abandonnés. Hun Sen était officier sous le régime de Pol Pot, mais a déserté en 1977. A l’époque, il fuit les purges au sein de l’armée du Kampuchea Démocratique, rejoint les Vietnamiens et les aide à renverser les communistes cambodgiens en 1979. Aucun témoignage ne parle de son implication dans les massacres, mais une enquête approfondie sur des gradés de rang équivalent ou inférieur au sien, pourrait remettre sur la table la question de sa propre responsabilité.

Mais HRW n’a pas dit son dernier mot. Laisser échapper des coupables potentiels ? Impensable pour l’ONG. « Si la cour juge uniquement les plus hauts dirigeants Khmers rouges, alors il y aura encore de nombreux meurtriers du régime en liberté, s’alarme HRW dans son communiqué. Et ce, dans les mêmes villages que les familles de leurs victimes ».

 
* 001 : procès de Duch (toujours en appel)
   002 : procès des 4 plus hauts responsables ouvert en juin 2011

 

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