Libération en Birmanie des prisonniers politiques : entre espoir et prudence

Le gouvernement birman a tenu en partie sa parole, en libérant mercredi 12 octobre 2011, plusieurs centaines de prisonniers dans le cadre d'une vaste amnistie qui concerne également une centaine de prisonniers politiques ou d'opinion.

L'organisation internationale de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) évoque la libération d'au moins 120 prisonniers politiques. Le site d'informations en ligne Mizzima affirme, quant à lui, que plus de 300 prisonniers politiques bénéficient de l'amnistie. Des chiffres qui restent toutefois encore à confirmer, car les informations arrivent au compte-goutte et les autorités n'ont pas diffusé de liste nominative officielle. Selon le site Mizzima, les prisonniers seront libérés en trois vagues successives. A en croire la télévision d'Etat birmane, ce sont exactement 6 359 personnes qui devraient être remises en liberté. En dehors des détenus politiques (1998 dans 42 prisons et 109 camps de travail à travers tout le pays, selon les données de l'Association d’assistance aux prisonniers politiques, - l’AAPP - une organisation basée en Thaïlande), les libérations devraient concerner les prisonniers « âgés, malades, handicapés ou qui ont purgé leur peine avec bonne conduite », a indiqué la télévision officielle birmane.

Les leaders de l'opposition aux abonnés absents

Parmi les quelque 300 dissidents libérés ce mercredi, figurent quelques noms célèbres comme l'humoriste Zarnagar, qui a été accueilli en début d'après-midi par ses proches à l'aéroport de Rangoon. Le très populaire comédien avait écopé de 59 ans de prison, une peine réduite ensuite à 35 ans, pour avoir dénoncé le manque d'assistance humanitaire du gouvernement envers la population au moment du cyclone Nargis en 2008. La catastrophe naturelle avait dévasté la Birmanie faisant plus de 140 000 morts. Mais l'incertitude demeure autour de Shin Gambira, un moine bouddhiste. Un des leaders de la « révolution de safran », réprimée dans le sang. Il avait écopé de 68 ans de prison. Certaines sources ont annoncé sa libération, tandis que d'autres restent encore perplexes.

Plusieurs informations contradictoires circulent aussi sur Su Su Nway, une militante des droits des travailleurs et membre du principal parti d'opposition, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dirigée par Aung San Suu Kyi. A noter également sur la liste des personnes libérées, l'absence criante des leaders du mouvement étudiant Génération 88 qui ont participé au soulèvement pro-démocratique contre la junte. A l'instar de Min Ko Naing, l'un des leaders du mouvement et l'une des bêtes noires du régime militaire. En prison depuis 2007, il souffre de graves problèmes de santé, comme de nombreux autres prisonniers qui vivent dans des conditions de détentions déplorables. La principale opposante au régime et prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, a exprimé sa reconnaissance pour la libération des prisonniers politiques, tout en espérant que d'autres allaient bénéficier de cette mesure de clémence. L'égérie de l'opposition a été libérée en novembre 2010, après 15 années d'assignation à résidence.

Une course à la crédibilité

Cette libération de plusieurs dizaines de prisonniers politiques est une nouvelle illustration de la volonté du régime de se montrer sous un nouveau jour. Depuis la dissolution du régime militaire en mars dernier et la nomination d'un gouvernement civil, la junte a multiplié les signes pour convaincre l'Occident de la sincérité de ses réformes. Plusieurs d'entre-elles ont été récemment saluées par les Etats-Unis comme « spectaculaires ».

Cette libération, réclamée par les Etats Unis, l'Union Européenne et l'opposition démocratique birmane, est d'ailleurs l'une des conditions essentielles pour la levée des sanctions économiques et politiques imposées à la Birmanie depuis la fin des années 90. Le gouvernement souhaiterait également obtenir la présidence de l'ASEAN en 2014.

Autre signe d'ouverture démocratique des autorités birmanes : la suspension du projet de construction du barrage de Myitsone, un gigantesque complexe hydro-électrique financé par la Chine. Le projet a été suspendu sous la pression populaire.

Pour augmenter sa crédibilité auprès de la communauté internationale, Naypyidaw a récemment créé une commission des droits de l'homme. Une première dans ce pays. L'organe indépendant a appelé le président Thein Sein à accorder l'amnistie aux « prisonniers de conscience » qui ne représentent aucun danger pour le pays. Depuis quelques mois, un dialogue s'est également ouvert entre le régime et l'opposition, notamment avec Aung San Suu Kyi.

Malgré cette succession de signes inédits, la plupart des organisations de défense des droits de l'homme appellent à la plus grande prudence. En mai dernier, la junte avait libéré environ 14 000 prisonniers, parmi lesquels seulement 47 détenus politiques. Pour l'association Info-Birmanie, une véritable transition démocratique en Birmanie ne sera possible qu'après la libération de tous les prisonniers politiques, opposants, journalistes, avocats, artistes et moines. La porte-parole de l'association Marie Battini insiste tout particulièrement sur la nécessité d'accorder aux « prisonniers de conscience », non seulement une liberté de mouvement mais surtout une liberté civile et politique. Pour Renaud Egreteau, chercheur à l'université de Hong Kong, le président Thein Sein est en train de s'approprier le processus de transition et veut s'affirmer en tant que leader éclairé. Mais il est difficile de présager de l'avenir de la Birmanie et d'un éventuel retour en force de la branche dure de l'armée.

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