Corruption en Inde : l’affaire Anna Hazare

Depuis le début du mois d’avril, Anna Hazare, 74 ans, a pris la tête d’une croisade extrêmement populaire qui provoque la panique des autorités. Anna Hazare milite contre la corruption qui gangrène toute la société indienne et notamment le personnel politique et administratif. Sa croisade révèle que le désir de changement est profond au sein de la société indienne, et que cette volonté n’est plus seulement réservée aux classes sociales les plus défavorisées, mais qu’elle s’étend désormais à la classe moyenne. Les Indiens en ont ras-le-bol des pots-de-vin et des dessous de table.

Anna Hazare estime que la réglementation en vigueur n’est plus à la hauteur des enjeux. Il exige la mise sur pied d’une législation spécifique renforcée, la «Lokpal Bill», dotée d’une commission indépendante aux pouvoirs élargis qui pourrait interpeller tout citoyen indien, y compris le Premier ministre et les juges de la Cour suprême.

Ses revendications sont tellement incontestables, et légitimes, qu’il est soutenu par une très large fraction de l’opinion publique et des médias, face à une classe politique (majorité et opposition confondue) unanimement effrayée par la popularité de ses exigences. Il a été brièvement interpellé et incarcéré la semaine dernière puis, évidemment, relâché faute de charges. Et, conformément à ses projets annoncés, il a entamé vendredi 19 août 2011 une grève de la faim de 15 jours qu’il menace de poursuivre au-delà si ses revendications ne sont pas satisfaites.

Tordre le bras à la démocratie

Bien que la personne du Premier ministre ne soit pas en cause, celui-ci a beaucoup déçu tous ceux qui avaient placé en lui des espoirs de changement sur cette question. Outre la «petite» corruption endémique à laquelle les citoyens de «la plus grande démocratie du monde» doivent faire face, ces dernières années ont été marquées par des scandales qui ont profondément affecté la confiance entre les Indiens et leurs responsables. On cite volontiers le scandale pour l’attribution des licences de téléphonie mobile, dans lequel un ministre en exercice a trempé, ainsi que les détournements auxquels ont donné lieu l’organisation des jeux du Commonwealth, l’année dernière. Mais c’est surtout la vie quotidienne des gens qui est sans cesse affectée. Et cette corruption domestique finit par saper profondément la confiance entre les citoyens et leur administration, dont chaque échelon est contaminé.

Le surgissement de ce débat dans l’espace politique bouscule une société indienne profondément affectée par le phénomène. D’une part parce que «la corruption, c’est grave» ; et d’autre part parce que le pays s’interroge sur les racines de son développement effrayant en établissant notamment une relation entre cette corruption et le virage économique négocié par New Delhi, caractérisé par son ouverture à une économie de marché totalement décomplexée. D’autre part, se pose aussi la question de la méthode et des moyens.

Car, à certains égards, cette campagne est extrêmement déstabilisante pour les institutions. Il y a en effet manifestement de la part d’Hazare et ses amis une volonté de «passer en force», de s’imposer aux institutions, éventuellement de les contraindre, comme le Mahatma Gandhi l’avait fait en son temps contre les Britanniques. Reste que la question de la méthode dans le contexte d’une démocratie parlementaire, certainement corrompue mais néanmoins réelle, demeure parfaitement pertinente. Et c’est l’un des principaux reproches qui lui est adressé : de vouloir tordre le bras des institutions démocratiques.

Le soutien de la classe moyenne

C’est d’ailleurs sur cette question que butte la comparaison avec le père de l’indépendance indienne qui, lui, combattait l’Empire britannique avec les moyens asymétriques et dans l’espace politique restreint que lui réservait l’Etat colonial. Pour le reste, bien qu’Anna Hazare soit la cible de vives critiques notamment en raison de position rigide et de son intransigeance, il semble bien qu’on a à faire à un militant intègre et irréprochable sur le plan personnel, et qui n’hésite pas à payer de sa personne. Et, jusqu’ici, aucune des nombreuses tentatives du pouvoir visant à le déstabiliser n’a atteint son but : sa popularité est intacte.

Alors maintenant, que va-t-il se passer ? Sur le court terme, la situation est à la fois simple et incertaine : les autorités indiennes font face à un homme de 74 ans, extrêmement populaire, qui vient d’entamer une grève de la faim, qui les menace donc d’un chantage au suicide, et dont le comportement révèle finalement un malaise général. Elles veulent négocier. Il ne veut pas (ou pas encore) car il sait que, désormais, son combat n’est plus seulement celui des exclus, des sans-voix et des parias du système.

La force d’Anna Hazare, c’est qu’il a été rejoint par cette puissante classe moyenne montante dont les aspirations ne peuvent pas être négligées et qui, avec l’accélération du développement économique de l’Inde, est sur le point de devenir dominante. A ce stade, c’est donc la position du gouvernement indien qui est la plus inconfortable.

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