La stratégie américaine peine à s'imposer en Afghanistan

Le bilan d’étape sur l’engagement des Etats-Unis en Afghanistan reste mitigé un an après le « surge », un déploiement de 30 00 hommes en renfort pour des opérations de grande envergure dans le sud afghan, dans les provinces du Helmand et de Kandahar. Les Etats-Unis et leurs alliés parviennent à contrer les talibans et à contenir les chefs d'al-Qaïda au Pakistan, mais les progrès restent fragiles, selon un rapport remis jeudi 16 décembre 2010 à Barack Obama. Le président américain pour sa part évoque les difficultés d’un conflit dont il peine à envisager la fin.

Il est urgent d’attendre avant de dévoiler davantage de précisions quant à l’ampleur et au rythme du retrait des troupes, semble indiquer le rapport d’étape produit jeudi 16 décembre par l’administration américaine. La date de 2011 pour entamer la réduction des effectifs sur le terrain est maintenue mais il semblerait que l'administration américaine insiste davantage aujourd'hui sur l'échéance de 2014 pour un transfert des responsabilités en matière de sécurité aux forces afghanes.

Le secrétaire d’Etat américain Robert Gates a pour sa part reconnu qu’il ne savait pas quelle serait l’ampleur du retrait programmé dès juillet 2011. « Le président Obama a été clair, selon Robert Gates, ce sera en fonction des conditions sur le terrain ». Or les progrès réalisés jusqu’ici, en neuf ans d’intervention sur le sol afghan, sont encore fragiles.

La stabilisation à long terme se fait attendre

« Il y a des succès tactiques indéniables », reconnaît Georges-Henri Bricet des Vallons, chercheur en sciences politiques associé à l'institut Choiseul. Mais sur le plan stratégique c’est une autre histoire. « Le problème c’est de capitaliser ces succès et d’aboutir à une stabilisation de la société afghane sur le long terme ».

Les délais de désengagement fixés par les Américains -d’abord en 2011 puis 2014- ne sont pas pour arranger les choses, selon le chercheur, « les talibans savent très bien que les Américains vont partir et jouent sur le statu quo. Ils attendent le retrait partiel des troupes américaines, d’où la difficulté de transformer les succès tactiques en avancées stratégique ».

La corruption gène la recherche d’une solution politique

Il y a 100 000 soldats américains en Afghanistan, soit 150 000 hommes au total en comptant les soldats déployés par l'OTAN. Maintenant, on ne parle plus de renforts militaires. Les membres de la coalition internationale prônent une solution politique et pas seulement militaire. Le rapport qui vient d'être remis au président Obama pointe le besoin urgent de progrès économiques et politiques.

La corruption est un frein puissant à toute amélioration dans ce sens. « La corruption de l'administration Karzai », disent les Américains. Mais Hamid Karzai, lui, incrimine les étrangers. Le fait est que le commandement américain a décidé de sous-traiter toute la logistique de ses opérations : le transport et la sécurisation de l'approvisionnement de ses troupes, tout est aux mains de sociétés privées, des afghans et des étrangers.

C'est une manne financière qui tombe jusque dans les mains des chefs de guerre, voire des talibans eux-mêmes qu'il faut payer pour obtenir le droit de passage dans certaines zones, c'est un effet pervers du système. Avec le « surge » décidé en 2009, les renforts déployés cette année n'ont fait qu'aggraver la situation, sur le plan du coût de l’approvisionnement.

Spécialiste des sociétés militaires privées, Georges-Henri Bricet des Vallons détaille le fonctionnement d’un système de nature à alimenter la corruption à différents niveaux. « En Afghanistan, le commandement américain a mis en place un modèle de management de la chaîne d’approvisionnement sans précédent dans l’histoire des opérations armées : la fourniture et le transport des équipements à destination de quelques 200 FOB (bases opérationnelles avancées) sont confiés dans leur quasi-totalité à des sociétés privées, dans le cadre d’un contrat intitulé le Host Nation Trucking, pour une valeur de 2,16 milliards de dollars ».

Selon cet expert, les américains n’ont en fait que très peu de visibilité sur le réseau de leurs sous-traitants. Cette externalisation de la logistique serait devenue le talon d’Achille du dispositif militaire américain en Afghanistan.

Les difficiles relations entre dirigeants afghans et américains

Le président Karzai ayant unilatéralement décrété le démantèlement des sociétés de sécurité privées a ainsi trouvé un moyen d’instaurer un nouveau rapport de force avec l’administration américaine. De fait les relations entre Kaboul et Washington restent tendues, même si le rapport d’étape –ou du moins ce qui en a été révélé- évite de mettre en lumière les aspects épineux de la relation.

Comme le souligne Karim Pakzad, l’administration américaine estime en fait ne pas avoir le choix. Aux yeux des Américains, la scène politique afghane n’offre pas d’alternative au président actuel.

Quant aux négociations avec les talibans, contrairement au président Karzai, Barack Obama semble peu pressé d’avancer dans cette voie, préférant que les pourparlers interviennent dans un environnement plus favorable au gouvernement en place.

Au bout du compte, le rapport d’étape n’engage aucun changement stratégique majeur. Le flou semble volontairement entretenu sur le dispositif de retrait des troupes américaines afin de donner au président et aux militaires une marge de manœuvre dans la poursuite des opérations. Il pourrait également s’agir, comme le soulignent certains observateurs, de couvrir également les divergences au sein même de l’administration américaine sur la façon de terminer cette guerre.

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