Familles coréennes séparées: un demi-siècle sans nouvelles et un dernier adieu

Vendredi 5 novembre s'achevait la dernière session des réunions de familles coréennes séparées par la frontière. Trois jours de retrouvailles après 60 ans de séparation : ces milliers de drames personnels illustrent la tragédie de la division coréenne. Reportage auprès d'une de ces familles.

De notre correspondant à Séoul

Par souci d'anonymat, son nom a été modifié à sa demande. Lee Keum-ja, 84 ans, est née à Pyongyang. Aînée d'une famille aisée, elle fuit la Corée du Nord en 1945 «par précaution», alors que le gouvernement colonial japonais fait place à un régime communiste. Avec son bébé, son mari et l'une de ses sœurs, Lee Keum-ja passe alors au Sud, où elle attend d'être rejointe par le reste de sa famille.

Mais la guerre de Corée, qui éclate en 1950, dresse au milieu de la péninsule une frontière lourdement militarisée et infranchissable. Plus aucun courrier ou appel téléphonique n'est autorisé. Pendant plus d'un demi-siècle, Lee Keum-ja ne reçoit aucun signe de vie de ses proches restés au Nord.

«Toute ma vie, je me suis sentie coupable. Ce qui me tourmentait le plus, c'était de penser que mes parents aient pu être accusés, à cause de moi, de déloyauté vis-à-vis du régime. A Pyongyang, les familles accusées ainsi étaient fusillées», explique la vieille dame en écrasant une larme. Cette souffrance de ne pas savoir, Lee Keum-ja l'a portée toute sa vie.

En 2000, avide de nouvelles, elle s'inscrit au programme de réunions des familles séparées, organisé par la Croix-Rouge. Ces retrouvailles sont tributaires des soubresauts des relations intercoréennes : organisées à intervalles sporadiques, elles ne durent que quelques jours, et leurs participants sont sélectionnés au compte-gouttes.

Il lui faudra attendre dix ans pour que son nom soit enfin tiré au sort : Lee Keum-ja est l'une des 97 Sud-Coréens qui ont participé aux rencontres de novembre, les premières depuis plus d'un an. Grâce aux documents que lui transmet alors la Croix-Rouge, elle apprend que, de tous ses proches, seule sa plus jeune sœur a survécu. Lors de son départ, celle-ci avait 7 ans.

La rencontre a eu lieu dans la station touristique des Monts Keumgang, en territoire nord-coréen. Lee Keum-ja avait préparé des cadeaux, comme recommandé par la Croix-Rouge : du sucre, du dentifrice, des vêtements chauds. «Je voulais cacher de l'argent dans les vêtements, avoue-t-elle. Mais on m'a dit de ne pas le faire.» Lors d'une courte formation offerte avant le départ, les organisateurs déconseillent aussi toute conversation d'ordre politique.

Un emploi du temps chronométré à la minute près

Les retrouvailles avec sa sœur nord-coréenne, Lee Keum-ja ne parvient pas à en parler. Son fils, qui l'a accompagnée aux Monts Keumgang, raconte : «C'était très simple. On s'est embrassé. On s'est dit : "ca fait vraiment longtemps !" On a parlé de choses de la vie quotidienne.» Il a regardé les mains de sa tante : «Elles étaient très abîmées : on voyait qu'elle a eu une vie difficile

Lee Keum-ja a tout de suite demandé des nouvelles de ses parents. Sa sœur lui a appris qu'ils étaient morts de maladie, et que sa fuite ne leur avait pas porté préjudice. «C'était un tel soulagement», témoigne-t-elle.

Ensemble, les deux sœurs ont regardé de vieilles photos. Celles de leur passé commun, dans le Pyongyang colonial. Lee Keum-ja travaillait alors pour Mitsubishi, et parlait couramment japonais. Pour lui éviter le destin des milliers de Coréennes enlevées pour servir d'esclaves sexuelles dans les garnisons de l'armée impériale, ses parents l'ont mariée très tôt : «Les Japonais ne prenaient pas les femmes mariées». Lors de sa fuite au Sud, elle était déjà mère.

La rencontre de trois jours, à l'emploi du temps chronométré à la minute près, est passée très vite. «Au total, nous n'avons eu que 11 heures pour discuter avec ma tante. C'était trop court.», regrette le fils de Lee Keum-ja. Le départ a été déchirant. Tout contact entre les deux sœurs reste interdit.

La Croix-Rouge sud-coréenne aimerait pourtant organiser ces rencontres sur une base plus régulière et permettre les échanges de courrier. Mais elle se heurte aux refus répétés de Pyongyang. Au Sud, 83 000 candidats aux retrouvailles, en majorité très âgés, continuent d'attendre. Tous les ans, 4 000 décèdent, sans avoir eu le droit à un dernier adieu.

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