Comment interprétez-vous les décisions prises au congrès exceptionnel du Parti communiste nord-coréen ?
« Je pense qu’au fond tout le monde s’y attendait. La nomination la plus importante, c’est évidement la promotion de Kim Jong-eun au grade de général. Cela signifie officiellement qu’il va prendre la relève de son père. Depuis 2002, Kim Jong-il avait largement balisé le terrain pour que le fils devienne son successeur. Tous les indicateurs étaient là. Cela a d’abord commencé par une grande campagne médiatique pour promouvoir sa mère, Ko Yong-hee, au rang de « mère nationale du pays ». Ils ont ensuite énormément communiqué sur le thème de la transmission du pouvoir entre générations. Il y avait des messages qui disaient que les jeunes devaient accéder aux responsabilités dans les instances économiques, mais aussi militaires et politiques. Tout ça bien évidement pour préparer le terrain au fils. C’est d’ailleurs un peu le même modèle qu’avait suivit Kim Jong-il plus jeune quand il a été qualifié comme successeur au président Kim Il-sung alors d’âgé de 60 ans. Huit ans plus tard, en 1980, la 6ème conférence du Parti des Travailleurs de Corée a validé son statut officiellement. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé aujourd’hui pour Kim Jong-eun.
Kim Jong-eun est encore jeune, y a-t-il un risque d’instabilité ?
« Pas pour ce qui est du court terme. Comme vous l’avez noté, la sœur de Kim Jong-il et un très proche ami du clan, Cho Ryong-hae ont également été promus généraux. Avec le beau-frère vice-président de la commission de Défense nationale, le fils est protégé et le régime stabilisé. Ensuite il faut voir si Kim Jong-eun ne sera pas amené à prendre des responsabilités trop vite et tout dépend aussi des pressions exercées par la communauté internationale. Il faut bien voir que l’on reste quand même dans le cadre de la doctrine du Songun (l’armée d’abord) chère à Kim Jong-il. Avant la conférence de ce mardi, c’est la commission nationale de Défense qui avait un statut supérieur au parti des travailleurs. Aujourd’hui les choses se sont un peu rééquilibrées. En devenant secrétaire général du parti des travailleurs, Kim Jong-il redonne du poids au parti mais en même temps, il ne peut pas se passer de la puissance politique d’une armée forte ».
Quel héritage Kim Jong-Il laisse t-il à son fils ?
« De quel point de vue (rires) ? Si l’on parle de l’économie, il faut bien reconnaitre que cette année aura été très difficile pour le pays. Le président sud-coréen Lee Myung-bak est revenu sur la politique initiée par le gouvernement précédent en supprimant une bonne part de la coopération du sud vers le nord. Et puis il a eu l’affaire du « cheonan » qui a renforcé les sanctions de la communauté internationale et l’isolement du pays. La Corée du Nord n’ayant pas pris les mesures structurelles nécessaires au redressement de son économie et ayant été de surcroit touchée par de violentes inondations. Le régime a donc envoyé à plusieurs reprises récemment des signaux indiquant qu’il était prêt à reprendre les pourparlers à Six. Je crois aussi que les dirigeants ont conscience de la nécessité d’ouvrir peu à peu l’économie. La visite de Kim Jong-il dans le Dongbei [province chinoise du nord-est] le mois dernier est sur ce plan une réussite car l’exemple du développement du nord-est de la Chine pourrait être adapté chez eux.
D’un point de vue politique, pour le moment la conjoncture ne se prête pas encore à l’ouverture. Le problème nucléaire est toujours là. La relation avec la Corée du Sud et les Etats-Unis est encore loin d’être normalisée, mais je crois qu’à terme il y aura une politique d’ouverture pour ce qui est de l’économie. Des essais ont déjà été faits dans certaines régions du pays par le passé. La Chine de ce point de vue doit se comporter avec la Corée du Nord comme avec le Xinjiang : il faut d’un côté veiller à la stabilité politique et de l’autre pousser vers des réformes économiques. Kim Jong-eun hérite la stabilité du régime de son père, c’est à lui désormais de conduire l’ouverture de l’économie. »