Avec notre envoyé spécial à Dandong, Emmanuel Damien
« Les Nord-Coréens c’est facile de les reconnaître lance le chauffeur de taxi ! Quand ils arrivent, ils ont souvent des habits très propres et ils portent un pin’s à l’effigie de leur leader ». Chercher le pin’s et vous trouverez le Nord-Coréen qui se cache derrière ! Le conseil pourrait passer pour une boutade, c’est simplement la version boutonnière et de voyage du culte de la personnalité en vigueur de l’autre côté de la frontière. Les pancartes le long du fleuve Yalu côté nord-coréen en attestent également. « Vive l’esprit de notre grand dirigeant Kim Jong-il » précise ainsi l’une d’entre elles, un message auquel les Chinois ne font plus attention depuis bien longtemps. « Moi j’ai été plusieurs fois à Sinuiju, la ville en face, explique cet ancien ouvrier du rail qui avait 20 ans lorsque la guerre de Corée a démarré (1950-1953). On a reconstruit le pont qui a été bombardé et des lignes de chemin de fer. La Chine a beaucoup aidé la Corée du Nord vous savez. L’année dernière encore, pendant les inondations, on en a envoyé des tentes et du riz là-bas ».
Piment « bio » nord-coréen
Dandong est situé à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau de la Corée du Nord et les camions qui font quotidiennement les allers-retours sur le « pont de l’amitié » qui relie les deux pays sont là pour prouver que le régime de Pyongyang n’est pas totalement coupé du monde. Les commerces installés en ville aussi d’ailleurs. Des magasins d’Etat nord-coréens vendent ici tous les produits que l’on ne peut plus trouver en Corée. « Vous voyez ce poisson, explique Shun Hua, vendeuse dans l’une des très nombreuses épiceries coréennes de la ville. Il vient de Corée du Nord mais les Nord-Coréens doivent venir chez nous pour le trouver ». Sur une étagère, soigneusement enfermés dans des petits sacs en plastique, les aubergines, les carottes et les piments séchés de Corée du Nord, « bio » comme le proclame l’épicière, sont tout simplement inaccessibles à une grande partie de la population. Car ce que ne dit pas la jeune femme c’est que bien souvent ces produits sont achetés par des cadres du parti ou de l’armée, les seuls habilités à sortir du pays et à pouvoir ainsi dépenser leur argent à l’étranger en toute discrétion. Les hommes au pin’s se font d’ailleurs plus rares en ville ces temps-ci. Un départ qui concorde avec l’annonce du grand rassemblement du Parti des travailleurs à Pyongyang ont constaté de nombreux commerçants. « Il y a surtout des hommes explique ce vendeur ambulant. Ils viennent souvent à trois avec, parmi eux, un interprète qui est là en réalité pour les surveiller. Aujourd’hui on les voit moins mais ils vont revenir, c’est sûr ! ». On les attend notamment dans les rayons des deux hypermarchés d’un géant de la distribution britannique ouverts en ville récemment. Les Nord-Coréens y viennent, paraît-il, pour y acheter des vêtements, de l’alimentation mais aussi et surtout des écrans plats et des ordinateurs. Tout cela évidement est payé en yuan voire en dollars, car depuis la dévaluation de l’année dernière, le won nord-coréen ne vaut plus un kopeck.
Le fleuve de tous les trafics
Ces transactions en devises étrangères sont valables pour les entreprises qui ont pignon sur rue comme pour les « affaires » plus opaques. Bagues à tous les doigts, tatouages et casquette, le jeune homme a l’assurance de sa jeunesse. Une vingtaine d’années tout au plus, le « tigre » comme il se présente, offre du frisson aux touristes l’été en frôlant les rives nord-coréennes avec son hors-bord : « Ici, cette maison appartient à un responsable de l’armée, là ce sont des soldates nord-coréennes dans les tourelles. » Mais une fois les vacanciers repartis c’est un tout autre « business » qui l’occupe. Hors saison, « le tigre » continue à traverser le Yalou en bateau rapide mais pour se rendre de nuit chez les voisins de l’autre rive. « Le soir, explique-t-il, on amène des choses à manger de l’autre côté de la rivière, à boire aussi et puis de l’argent. On boit avec les soldats et les officiels. Ils sont marrants les Coréens. Ils aiment trinquer et boire leur verre d’un seul trait. L’alcool de riz coréen étant moins fort que l’alcool chinois, ils sont souls très rapidement. On mange ensemble et après ils vont dormir. Nous on rentre en Chine avec la marchandise, le fer et le bronze ». La plus grande mine de bronze d’Asie se trouve justement en Corée du Nord près de la frontière chinoise. Le fer, l’or, l’alcool, les cigarettes tout s’échange contre des yuans et des dollars.
Nids de snipers
« Ce sont nos voisins pauvres sourit tristement l’ancien ouvrier du rail. J’étais là-bas en 1973 et 1974, à l’époque il n’y avait rien dans leurs boutiques. Nos interprètes disaient souvent : ‘Vous à Dandong vous avez une grande population et vous beaucoup de produits. Nous sommes peu nombreux et nous avons presque rien’. ». Moi je crois que c’est un problème de système, poursuit le vieil homme, la Corée du Nord en est restée au collectivisme que nous avions en Chine dans les années 1950. Et maintenant c’est encore pire, ils veulent toujours faire la guerre aux Etats-Unis et à la Corée du Sud. Regardez leurs montagnes, il y a des tireurs cachés partout dans les trous ! On dirait des nids de guêpes ! ». Les snipers embusqués sont là en réalité, pour empêcher la fuite des Nord-Coréens qui voudraient passer en Chine plutôt que pour combattre un éventuel envahisseur. Le Yalu est un long fleuve tranquille de ce côté de la frontière et le voisin chinois est toujours considéré comme un « grand frère » par le régime de Pyongyang. Sur la promenade de Dandong, près de l’embarcadère, un orchestre à corde célèbre ainsi la douceur des soirées d’automne. Le chant de l’erhu, du pipa et du ruan s’envolent dans cette belle nuit de septembre et ira adoucir aussi, probablement, le quotidien de « ceux d’en face ».