Afghanistan : des législatives entre menaces et espoirs

La seconde Assemblée nationale afghane depuis la chute du régime des talibans en 2001 est élue ce samedi 18 septembre. Plus de 10 millions d’Afghans sont appelés à désigner les 249 députés de la Chambre basse, la Wolesi Jirga. Les résultats définitifs ne sont pas attendus avant le 31 octobre. Plusieurs incidents et des violences ont entaché les premières heures du scrutin.  Malgré les tensions et les soupçons de corruption et de fraude qui pèsent sur le personnel politique et une situation régionale instable, voire explosive, les Afghans adressent de nombreux témoignages de leur volonté de sortir leur pays de cette situation.

C’est certainement un « cliché », mais la tenue du scrutin législatif de ce 18 septembre est incontestablement un défi à maints égards. Il se déroule dans un pays sous occupation étrangère, en guerre, conduit par un personnel politique corrompu, dans une atmosphère de menace pour les candidats, où la fraude électorale est une hypothèse hautement vraisemblable, et qui a à ses portes un Pakistan plutôt hostile dont les relations avec les insurgés sont marquées par l’ambiguïté.

L’hypothèque régionale

D’emblée le président Hamid Karzaï, lui-même soupçonné d’avoir bénéficié de la fraude électorale lors de sa réélection contestée l’année dernière, a déclaré vendredi 17 septembre qu’il fallait s’attendre à des irrégularités. Il a en quelque sorte anticipé sur l’émergence d’une polémique post-électorale de même nature qu’en 2009 et averti qu’« il y aura des problèmes et des accusations » sur la régularité du scrutin. Sur cette question, il a également circulé au cours de ces derniers jours de nombreuses rumeurs, mais aussi des informations vérifiées, sur des trafics de fausses cartes d’électeur en provenance de l’étranger, et notamment du Pakistan voisin dont l’intérêt pour l’Afghanistan demeure considérable, à la mesure du poids qu’il représente sur l’échiquier géopolitique régional surdéterminé par le conflit indo-pakistanais. Pour Islamabad, il n’est pas question d’être écarté du règlement politique de la crise afghane, quitte à continuer à l’entretenir. Le Pakistan veut impérativement faire partie de la solution à la guerre chez son voisin. Il veut réduire au maximum toute perspective de se retrouver avec un gouvernement hostile sur son front ouest, alors que ses forces sont déjà en état d’alerte depuis 63 ans sur sa frontière est.

Dans cette problématique afghane indissolublement liée au contexte international, l’insécurité relative à la guerre civile demeure toutefois le premier obstacle visible et indépassable sur lequel butte l’exercice de la démocratie. Cette insécurité s’incarne dans le mouvement insurgé qui, malgré le déploiement des troupes étrangères et la construction en cours de l’armée nationale afghane, fait mieux que résister en mettant en échec non seulement les fragiles institutions du pays mais aussi les soldats venus défaire le régime des talibans en 2001 et, aujourd’hui, combattre la rébellion et contribuer à l’instauration d’un régime d’inspiration démocratique. Kaboul n’exerce pas sa souveraineté sur son territoire. Le président afghan a beau manifester depuis quelques mois sa volonté de discuter avec les talibans afin de tenter de dégager un espace de négociation, rien de décisif ne s’est produit jusqu’à présent même si des discussions ont certainement lieu. Les insurgés ont des exigences préalables parmi lesquelles le départ des troupes étrangères, ce qui signifierait probablement l’effondrement du régime dont la solidité repose précisément sur la présence de l’armada internationale déployée dans le pays. Parmi les derniers signes adressés par le président aux talibans, il y a donc cet appel lancé vendredi 17 septembre aux « fils du pays » à aller voter.

2010, l’année la plus meurtrière

De leur côté, les talibans ne veulent évidemment pas de la stabilité promise par un processus démocratique qui s’exercerait contre eux et menacerait le succès de l’insurrection qu’ils mènent depuis neuf ans. Ils menacent donc l’ensemble du dispositif électoral, en livrant des attaques contre les bureaux de vote, les employés présents dans ces bureaux et les forces de sécurité chargées de prévenir ces attaques. Ils précisent toutefois que les électeurs ne sont pas des cibles, mais qu’ils risquent d’être blessés s’ils se rendent dans les bureaux de vote. Vendredi 17 septembre, dix-neuf personnes ont ainsi été enlevées, dont un candidat. Son enlèvement a été revendiqué par le porte-parole des talibans. Au cours de la campagne qui a précédé le scrutin, au moins trois candidats ont été assassinés et des dizaines d’attaques ont été perpétrés contre les militants politiques. Deux employés de la Commission électorale indépendante ont également été tués mercredi.

Pour prévenir tout incident, en tout ce sont potentiellement quelque 300 000 militaires, policiers et agents de renseignement afghans, appuyés par près de 150 000 militaires étrangers qui sont sur la brèche ce 18 septembre pour garantir le bon déroulement du scrutin dans les quelques 5 800 bureaux de vote. Mais, malgré ce déploiement de forces, la sérénité du scrutin n’est pas garantie. Chaque jour des soldats périssent dans des accrochages avec les rebelles et 2010 est en passe de devenir l’année la plus meurtrière pour les forces internationales.

« Barbes blanches » et « seigneurs de la guerre »

Dans ce contexte, « si la journée de vote n’est pas une journée très violente, ce sera une défaite pour les talibans », déclare à l’AFP un responsable occidental sous couvert d’anonymat. La démocratie en Afghanistan devra s’en satisfaire, bien que nombre de voix s’élèvent au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la « société civile » pour faire bouger les lignes. Face à une Jirga dominée par des « barbes blanches » et des « seigneurs de la guerre », et autres notables traditionnels, émerge une nouvelle catégorie de citoyens afghans qui, bien que minoritaire et menacée, se déclare déterminée à user des moyens d’expression qui lui sont offerts.

Les femmes comptent parmi ce groupe social. Elles sont de plus en plus nombreuses à se présenter. Cette année, plus de 400 briguent les 68 sièges qui leur sont réservés. C’est 22% de plus qu’en 2005. Mais leurs difficultés sont énormes. Menacées de mort, insultées, harcelées, elles ne bénéficient d’aucune protection particulière. C’est donc de la politique en semi clandestinité dont elles font l’apprentissage : elles « s’organisent en petits groupes, se rendent directement chez les femmes et là, en petits comités, elles peuvent leur parler, leur dire ce qu’elles comptent faire pour elles, c’est comme cela qu’elles peuvent mener leur campagne », déclare Mahbouba Seraj, candidate dans la province du Nouristan (est).

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