Avec notre envoyée spéciale à Toribio, Véronique Gaymard
Pour arriver à Toribío, il faut monter de la plaine pendant une heure par une route de montagne raide et sinueuse, entrecoupée de trous, avec des petites fermes et beaucoup de plantations de marihuana, qui se sont multipliées ces dernières années. Si les armes se sont tues, d'autres groupes criminels sont en effet apparus dans ce couloir du narcotrafic, à forte production de cannabis mais aussi de coca.
Ces nouveaux petits groupes inquiètent. Vendredi, un nouveau pamphlet signé du Front 29 des FARC, un groupe dissident, menace quiconque circulerait dans la zone. De quoi provoquer de nouvelles tensions, notamment chez les Indiens de la communauté des Nasa, qui s’organisent. Parmi eux, à Corinto, RFI a rencontré Angie Zapata, qui donne son point de vue sur la situation.
« Caloto, Corinto, Toribio... toute cette zone a été très touchée par le conflit armé. En tant qu’organisation indigène, on mise beaucoup sur la paix et nous avons soutenu les accords avec les FARC. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espoirs. Il y a encore des affrontements, avec de nouveaux groupes armés qui veulent pénétrer ce territoire », observe-t-elle.
Ici, le choix, c'est la gauche et Gustavo Petro
A entendre Angie, ce serait pire qu'avant : « Les affrontements continuent, la délinquance a explosé. Vols de motos, extorsions, vols à main armée... ça a pris des proportions terribles. Nous, on a reçu un pamphlet signé des Aigles noirs, un groupe paramilitaire qui mentionne directement nos activités de droits de l’homme et qui dit qu’on est des hypocrites. On est devenus des cibles. »
Avant, dans cette région très touchée par le conflit, les affrontements entre les FARC et les forces du gouvernement étaient quasi quotidiens, se souvient Ivan, qui vient de déposer sa fille à l'école : « Avant, on déposait les enfants en vitesse et on courait se réfugier chez nous. On ne pouvait pas rester discuter devant l'école comme on le fait maintenant. C'est plus calme. Mais moi je ne vais voter pour personne. Peu importe qui gagne, le pays ne changera pas. »
Sur la place flotte une immense banderole « Votez Gustavo Petro », le candidat de gauche, grand favori dans cette région. « Nous, en tant que peuple autochtone, nous soutenons la candidature de Gustavo Petro. Il est temps de changer, les familles dirigeantes sont toujours les mêmes, elles ont beaucoup gagné. Maintenant, on a besoin de changement », estime Angie Zapata.
« On s'est toujours sentis abandonnés ici »
Mais ce Gustavo Petro, c'est un choix par défaut, sans grande illusion sur la vie politique et sur son poids quant à l'avenir proche de la Colombie, précise Carlos Alberto Manguera, l'ancien maire de Toribío : « L'organisation indigène Nasa a pris la décision de soutenir Gustavo Petro, mais on est bien conscients qu'un président ne pourra pas changer les choses du jour au lendemain. »
Les aides qui devaient découler des accords de paix ne sont pas arrivées, et la population se débrouille pour survivre comme avant, constate Carlos Alberto Manguera : « Il n'y a pas de travail, il n'y a pas d'entreprises ici, pas d'aides pour l'agriculture, donc les gens n'ont plus que les cultures illicites de marihuana ou de coca pour vivre. »
« On s'est toujours sentis abandonnés ici, et je ne pense pas que ça changera beaucoup », conclut l'ancien maire de Toribío, fataliste. Tandis que la nuit tombée, les montagnes s'illuminent de rectangles de lumière. Ce sont les milliers d'ampoules utilisées pour faire pousser la marihuana.