L’Armée de libération nationale: l’autre guérilla de Colombie

Les négociations avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) sont encore en cours. Mais déjà, le gouvernement colombien entame les pourparlers de paix avec la deuxième guérilla du pays, l’Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional, ELN). Semblables sans être identiques, les deux guérillas poursuivent leur combat à la table des négociations.

Impossible, à l’évocation de la Colombie, de ne pas penser aux guérillas qui s’y battent encore les armes à la main. Sauf que les armes, l’ELN est sur le point de les déposer, comme l’ont fait les FARC pour dialoguer avec le président colombien, Juan Manuel Santos – ce qui lui a valu le dernier prix Nobel de la Paix.

Si l’ELN est prête à s’asseoir à la table des négociations, qui devaient commencer le 27 octobre, « c’est que le contexte le permet », explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Amérique du Sud.

Les Colombiens ont refusé l’accord de paix signé entre les FARC et le gouvernement colombien parce qu’ils accusent le gouvernement d’avoir fait trop de concessions aux rebelles. Or l’ELN « propose d’inviter la société civile aux négociations, c’est un modèle différent », précise Victor de Currea Lugo, professeur à l’université nationale de Colombie. Lui-même est membre de la Mesa social para la paz (« Table sociale pour la paix »), une organisation créée à la demande du gouvernement et de l’ELN pour amener les citoyens à prendre part au dialogue.

Si le contexte est favorable aux négociations, c’est aussi parce que le prix Nobel de la Paix a fait du président Juan Manuel Santos un interlocuteur crédible et internationalement reconnu. Ensuite, « parce que la pression des voisins de la Colombie s’accroît. Le conflit armé colombien est le dernier de ce type en Amérique du Sud, et des pays comme le Venezuela, ou l’Equateur [qui accueille les pourparlers, ndlr] veulent que le calme revienne à leurs frontières », analyse Jean-Jacques Kourliandsky.

« Le gouvernement ne peut pas proposer moins à l’ELN qu’aux FARC »

Avec ses 1 500 combattants estimés, contre environ 6 000 pour les FARC, l’ELN peut paraître marginale. « Pourtant, cela fait 50 ans qu’aucun gouvernement n’a réussi à s’en débarrasser par la force », rappelle Carlos Agudo, sociologue spécialiste de l’Amérique Latine. « Ils sont certes moins nombreux, mais leur assise sociale est au moins aussi grande que celles des FARC. Ils disposent de ramification dans les syndicats, chez les universitaires », ajoute-t-il. Selon lui, « le gouvernement ne peut pas proposer moins à l’ELN qu’aux FARC ».

Moins nombreux, mais pas moins radicaux. L’ELN n’est pas marxiste, comme le sont les FARC, mais castriste. Son organisation est plus collégiale, et elle concentre ses revendications sur l’intégration de tous les citoyens à la prise de décision politique – alors que les FARC sont d’abord focalisés sur l’égale répartition des terres entre les paysans.

Au-delà des querelles de chapelle, les pratiques sont les mêmes : trafics de drogues, prises d’otages et autres exactions. « A la différence près que l’ELN pratique le rançonnage des grandes entreprises minières et pétrolières, qu’elle fait payer pour continuer leur activité », nuance Jean-Jacques Kourliandsky. Et si les deux guérillas ont parfois vu leurs objectifs converger, il leur est aussi arriver de se combattre : « notamment pour prendre le contrôle de certains points stratégiques permettant d’exporter la drogue à l’étranger », ajoute le chercheur de l’IRIS.

Le début des négociations a plusieurs fois été retardé, notamment parce que le gouvernement exige la libération d’otages, que détient toujours l’ELN. Du côté du gouvernement, on chercherait encore des émissaires pour mener les négociations. En face « malgré les rumeurs de différends entre une branche plus radicale et une autre plus ouverte à la négociation, l’ELN, lors de son dernier congrès, a majoritairement voté pour ouvrir le dialogue avec le gouvernement », affirme Victor de Currea Lugo, qui suit de près le processus.

Des discussions secrètes, préalables aux négociations de paix, ont lieu depuis deux ans entre les deux parties pour définir les conditions du dialogue. Si celui-ci aboutit, et qu’un accord de paix est aussi entériné avec les FARC, cela mettra fin à un demi-siècle de conflit entre le gouvernement colombien et des groupes armés d’extrême gauche. Un conflit aux 200 000 victimes, et aux 7 millions de déplacés.

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