Pérou: PPK contre Keiko, une élection pour ou contre le clan Fujimori

Au Pérou, le second tour de l’élection présidentielle ce dimanche opposera Keiko Fujimori, la fille de l’ancien président emprisonné pour crimes contre l’humanité et corruption, à Pedro Pablo Kuczynski, ancien ministre de l’Economie et des Mines. Une campagne centrée sur deux sujets principaux : la sécurité et la corruption. Le pays est de plus en plus divisé entre pro et anti-Fujimori. Mais la favorite Keiko Fujimori reste en tête des intentions de vote.

Keiko Fujimori, âgée de 41 ans, est la fille de l’ancien président Alberto Fujimori qui a dirigé le Pérou d’une main de fer entre 1990 et 2000. Il a laissé l’image d’un homme qui est venu à bout de la guérilla maoïste du Sentier lumineux au prix de violations graves des droits de l’homme, mais aussi d’un président proche du peuple, qui a parcouru le pays et redressé l’économie.

C’est cette dernière image que sa fille, qui avait endossé le costume de Première dame lorsqu’il était au pouvoir, veut incarner. « Elle a su prendre ses distances avec son père en posant deux principes, explique Fernando Tuesta, professeur de sciences politiques à l’université catholique du Pérou. D’abord, en disant que les enfants n’ont pas à payer pour les erreurs de leurs parents, qu’elle était Première dame à l’époque mais indépendamment de sa volonté, et qu’elle était très jeune. Puis elle a essayé de prendre ses distances avec le fujimorisme orthodoxe des années 90. Et elle a fait campagne pendant près de cinq ans, a créé un parti avec beaucoup de moyens et elle a su le faire de manière professionnelle. »

Le parti Fuerza Popular (Force Populaire) formé par Keiko Fujimori est « le seul parti organisé du Pérou », renchérit Olivier Dabène, professeur à Sciences Po, fondateur et président de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes. Pour Fernando Tuesta, Keiko Fujimori est bien mieux placée que PPK pour l’emporter dimanche. Car elle a su mobiliser les Péruviens sur des sujets concrets qui les concernent au quotidien, comme la lutte contre la violence et la pauvreté.

Pedro Pablo Kuczynski : la stratégie « anti-Keiko »

Libéral ancré à droite, ancien ministre de l’Energie et des Mines, puis ministre de l’Economie d’Alejandro Toledo, PPK a multiplié les promesses de développement et de lutte contre la délinquance, comme sa rivale. Mais il ne s’est pratiquement pas déplacé sur le terrain et n’a aucun charisme. A 77 ans, le chef du parti Peruanos por el Kambio (Péruviens pour le changement) s’est retrouvé propulsé en seconde position après le premier tour de l’élection présidentielle, à la faveur de l’éviction de deux candidats, notamment l’économiste Julio Guzmán, en deuxième position dans les sondages.

PPK tente un peu tard d’afficher une image rassurante pour attirer les indécis en agitant le spectre de l’autoritarisme si Keiko Fujimori gagnait, pour rallier notamment les électeurs de la gauche, Frente Amplio, représentés au premier tour par Verónika Mendoza. C’est désormais la ligne stratégique de Pedro Pablo Kuczynski pour remporter l’élection ce dimanche.

Lors du dernier débat télévisé dimanche, PPK s’en est pris aux membres de Fuerza Popular, le parti de Keiko Fujimori, mis en cause par la DEA, l’agence antidrogue américaine, pour blanchiment d’argent et corruption, dans ce pays devenu un des premiers producteurs de cocaïne. « Je veux lancer un appel à tous les Péruviens, quelle que soit leur conviction politique, pour défendre la liberté, et barrer la route, grâce à nos bulletins de vote, au retour de la dictature, de la corruption et du mensonge. » Une mise en garde qu’il a réitérée ce mercredi : « Nous ne voulons pas entendre parler d’un narco-Etat. »

Keiko Fujimori mise sur la fidélité de son électorat

Réaction outrée de Keiko Fujimori : « Je rejette catégoriquement les affirmations de Monsieur Kuczynski selon lesquelles Fuerza Popular aurait un lien avec le trafic de drogue. Je suis prête pour construire notre futur. Ensemble nous travaillerons chaque jour pendant les cinq prochaines années pour mettre en place des solutions techniques pour résoudre les problèmes sociaux. Parole de femme ! » La favorite de l’élection présidentielle a déclaré qu’elle aurait préféré que la marche qui a réuni 100 000 personnes ce mercredi à l’appel du collectif « tous contre Keiko » se soit déroulée en soutien à PPK et non pas contre elle.

Cette campagne négative à son égard sème selon elle « la haine et la division ». Elle a rappelé que lors de la campagne présidentielle de 2011, PPK l’avait soutenue au second tour. « De l’amour à la haine, il n’y a qu’une campagne électorale », a-t-elle déclaré. Pour Olivier Dabène, la campagne « tous contre Keiko », au lieu de l’affaiblir, ne fait que la renforcer.

Keiko Fujimori n’est pas novice en politique. Déjà candidate à l’élection présidentielle en 2011, elle a tissé depuis cinq ans un réseau solide à travers tout le pays. Elle promet une lutte sans merci contre la montée en flèche de la criminalité en s’appuyant sur l’armée. Pour résorber la pauvreté, elle s’engage à maintenir les programmes sociaux et à investir dans l’éducation, le développement des petites et moyennes entreprises.

Keiko Fujimori peut compter sur un électorat qui attend des réponses fermes sur ces sujets et qui ne s’offusquerait pas de tentations autoritaristes pour y parvenir. Elle s’appuie aussi sur des fidèles compagnons de son père qui espèrent voir leur ancien président libéré de prison si sa fille prend les rênes du pays.

La gauche appelle à voter contre Keiko

Veronika Mendoza du parti de gauche Frente Amplio était arrivée troisième au premier tour de l’élection présidentielle, avec près de 19 % des voix. Elle a appelé ses électeurs à voter contre Keiko Fujimori, et du bout des lèvres « pour » Pedro Pablo Kuczynski, ancien banquier de Wall Street. « Veronika Mendoza et la gauche qu’elle représente ont comme principal étendard l’anti-fujimorisme, rappelle le politologue Arturo Maldonado. Et dans ce contexte particulier, elle n’avait pas d’autre choix que de se plier à ce qu’elle appelle un vote sanction et à appeler à voter pour le rival de Keiko Fujimori. » Un vote contre ce qu’incarne à ses yeux la fille de l’ancien président condamné à 25 années de prison pour crimes contre l’humanité et corruption. Autre chapitre de l’histoire sombre du père, les campagnes de stérilisation forcée entre 1990 et 2000 - où plus de 300 000 femmes indigènes et pauvres ont été stérilisées - sont en revanche restées impunies.

Les candidats du premier tour se sont joints à l’appel « tous contre Keiko » y compris le président sortant Ollanta Humala. Et dans l’autre camp, des groupes évangélistes, très influents et très conservateurs sur le mariage homosexuel ou l’avortement, ont appelé à voter pour elle.

Le vote est obligatoire au Pérou. Les indécis devront faire leur choix dimanche entre deux candidats ancrés à droite, dont la différence réside surtout dans l’adhésion ou le rejet du clan Fujimori.

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